Magie blanche dans la face sombre de la colonisation
« -Bonjour. Colonel de Neveu. Chef du bureau politique de l’armée française à Alger.
-Je sais qui vous êtes. J’avais demandé à mon secrétaire de ne pas accepter ce rendez-vous.
-Je ne suis pas un homme à qui l’on refuse grand-chose !
-Alors vous êtes un homme qu’on a mal renseigné. J’ai pris ma retraite. Je ne donne plus aucun spectacle.
-J’ai entendu cela. Mais j’ai du mal à croire que le grand Jean-Eugène Robert-Houdin, le père de la prestidigitation moderne, puisse tourner le dos à son pays alors que celui-ci a tellement besoin de lui ! »
Algérie 1856. L’armée française est mise en déroute par la population locale qui use de magie et d’hypnose pour lutter contre l’envahisseur. Les soldats se voient attaqués de scorpions alors qu’ils ne sont qu’illusion. A Blois, le colonel de Neveu, chef du bureau politique de l’armée française à Alger, vient rencontrer le grand Jean-Eugène Robert-Houdin, le père de la prestidigitation moderne, afin de le convaincre de donner un coup de main à son pays. Il ne va pas être facile à convaincre, ayant du mal à imaginer ce que la France peut attendre d’un saltimbanque comme lui. Et puis, il a pris sa retraite. Il ne faudra que quelques jours pour qu’il change d’avis. S’il peut empêcher le massacre de milliers de soldats et de civils, il veut bien remonter sur scène, en Algérie, afin de démontrer aux « indigènes », comme l’armée les appelle, que la France maîtrise les mêmes tours de passe-passe que leurs marabouts.

Dix ans après, le magicien retrouve les planches de la scène, au théâtre impérial d’Alger. Malgré le poids des ans, une fois la représentation commencée, il retrouve rapidement son talent d’antan. Proposant qu’on lui tire dessus sur scène, il arrête la balle avec ses dents. Mais quel tour ! L’assistance est médusée. Les miracles n’existent pas. La magie, ce n’est que de l’intelligence humaine. Au fil des jours, Robert-Houdin va se trouver au cœur de la guerre. Il échappera à un attentat, se trouvera au beau milieu d’une tempête de sable dans le désert et connaîtra la captivité avant d’affronter Sidi Tahar dans un duel de magie. Qui sera le plus prestigieux illusionniste ? Et cela suffira-t-il à positionner la France en tant que dominatrice dans ce pays qu’elle colonise ?

Avec Artifices, les auteurs s’emparent d’une partie méconnue de la vie d’un des fondateurs de l’illusionnisme moderne. En 1856, Jean-Eugène Robert-Houdin a cinquante-et-un ans. Le voilà embarqué dans une entreprise politique au service de l’Etat. Le cahier documentaire en fin d’albums revient sur sa vie en montrant comment le gouvernement français l’a utilisé pour détourner les Arabes des miracles, dixit Charles Baudelaire en personne. On y revient sur le rôle des femmes dans la résistance locale, comme dans l’album avec le personnage de Nélia, inspirée de Lalla Fatma N’Soumer, combattante, stratège et féministe avant l’heure. Comme le conclue le scénariste dans le dossier, toute l’histoire nous invite à nous questionner sur ce que nous croyons voir et savoir dans notre monde saturé d’images. De la scène du théâtre aux dunes du désert, des quartiers chics d’Alger aux traboules de villages kabyles, le dessinateur Julien Ribas invite au voyage.

Relatant les derniers éclats, et non pas des moindres, de Robert-Houdin, Artifices, un magicien en Algérie a ceci d’étonnant que les questions que l’histoire soulève sont, 170 ans plus tard, étonnamment d’actualités.
One shot : Artifices Un magicien en Algérie
Genre : Histoire
Scénario : Mathieu Mariolle
Dessins & Couleurs : Julien Ribas
Éditeur : Daniel Maghen
ISBN : 9782356741967
Nombre de pages : 112
Prix : 19,50 €