Voyage au bout de l’enfer
« -Capitaine ! A la seconde près, comme d’habitude. Je vous en prie, entrez. Schröder, j’ai des communications importantes. Votre prochain départ aura lieu le 13 mai, vous aurez à bord 937 juifs. Vous avez bien compris. C’est un voyage de grand intérêt pour le ministère de la propagande.
-Et où vais-je devoir les mener ?
-Mais à Cuba, Capitaine.
-Ils seront là aussi ? Les espions ?
-Vous savez que nous ne pouvons pas nous y opposer.
-Je leur ferai comprendre que c’est moi le capitaine. »
Hambourg, mai 1939. Le paquebot le Saint-Louis s’apprête à appareiller, embarquant pour Cuba à son bord des dizaines de familles juives fuyant l’Allemagne nazie et une Europe prête à exploser, terre promise annoncée. Ça fait quelques mois maintenant qu’une odeur nauséabonde se répand dans les rues de Berlin et alentours. Les juifs sont mis au pilori. Ils dépensent leurs moindres économies et vendent ce qu’ils peuvent pour se payer un sésame vers un pays où l’on veut bien d’eux. Quand le Capitaine Schröder accepte de convoyer 937 juifs de Hambourg jusqu’à Cuba, il pense être seul maître à bord. C’est compter sans l’embarquement d’espions qui prévoient au voyage un tout autre destin que celui annoncé.
Le voyage du Saint-Louis est un épisode oublié de la Shoah, une tragique histoire vraie qu’il est d’ailleurs étonnant de ne pas encore avoir vue au cinéma. Faisant œuvre de mémoire, la bande dessinée s’en empare. La plupart des histoires s’intéressent effectivement à la Shoah. Ici, on est en quelque sorte dans un prequel. Si l’histoire est « oubliée », on va vite comprendre pourquoi. On n’est pas dans un manichéisme bons/méchants. Les auteurs mettent en évidence la lâcheté de nations alliées et neutres qui, après le refus de Cuba d’accueillir les réfugiés, n’ont pas su prendre leurs responsabilités. Les futurs héros n’aiment pas qu’on leur rappelle leurs erreurs. C’est peut-être pour cela que l’épisode a été malencontreusement « effacé » des tablettes. Si cette aventure est aussi importante aujourd’hui, c’est qu’elle fait également écho aux bateaux de migrants qui débarquent sur les côtes européennes. Quel sort les nations doivent-elles leur réserver ?
La scénariste Sara Delabella relate les faits de manière la plus objective possible. Dans une ligne claire pure et poignante, le dessinateur Alessio Lo Manto souligne les moments tragiques dans des scènes muettes criantes d’horreur, que ce soit une simple séance de cinéma à bord avec des actualités inquiétantes, ou la pathétique immersion du cercueil d’un passager décédé. La couverture est également une composition exceptionnelle, avec cette main d’un officier nazi qui tient le bateau comme si elle le soulevait des flots, comme pour mieux se refermer sur lui.
S’il faut retenir un personnage, ou plutôt une personnalité de ce récit, c’est le capitaine Gustav Schröder, qui a tout mis en œuvre pour tenter de sauver ses passagers. Il est aujourd’hui reconnu Juste parmi les nations. Le livre est complété, entre autres, par l’interview de Sol Messinger, un passager survivant du Saint-Louis, qui avait six ans au moment des faits.
Le voyage du Saint-Louis est de ces histoires qu’on eut préféré ne jamais lire.
One shot : Le voyage du Saint-Louis
Genre : Histoire
Scénario : Sara Delabella
Dessins & Couleurs : Alessio Lo Manto
D’après : Hélène Dauniol-Remaud
Éditeur : Marabulles
ISBN : 9782501183147
Nombre de pages : 112
Prix : 19,95 €