La guitare et le crayon
« Hergé et Brassens réconcilient les élites avec la culture populaire, on ne compte plus le nombre d’écrits et travaux universitaires qui leur sont dédiés. Tous deux touchent le grand public mais sont aussi les alliés des lettrés. » Renaud Nattiez
Comment peut-on imaginer un jour faire un parallèle entre l’œuvre d’un auteur-compositeur et celle d’un dessinateur-scénariste ? Pour Renaud Nattiez, passionné d’Hergé et de Brassens, ça semblait évident. Il le prouve dans un ouvrage fascinant qui réunit les puristes de l’un et les exégètes de l’autre, sans qu’un intérêt commun pour l’un et pour l’autre ne soit nécessaire. Au contraire, les tintinophiles écouteront Brassens d’une oreille curieuse pendant que les brassensophiles liront Tintin d’un œil pétillant. En quatre chapitres, Renaud Nattiez met en évidence les points communs et différences entre les deux œuvres.
Le livre s’intitule Brassens et Tintin Deux mondes parallèles, et non pas Brassens et Hergé Deux mondes parallèles. Le choix n’est pas innocent. Hergé n’a pas écrit et dessiné que Tintin, mais c’est seulement de cette série dont il va être question. Les aventures de Tintin comme les chansons de Brassens racontent des histoires en créant des mondes. Pour l’un, elles sont habillées de musique. Pour l’autre, elles bénéficient d’une ligne directrice qui précède les premiers crayonnés. A la manière de Balzac, ils ont créé leurs comédies humaines, avec de tendres caricatures, que ce soit un curé chez l’un ou une cantatrice chez l’autre. Un gorille les réunit, sans souci du qu’en-dira-t-on pour l’un, sur une île noire pour l’autre.
Brassens et Hergé approchent la réalité de manière nuancée dans des visions où « rien n’est important mais où tout est dramatique ». Du guano sur les chapeaux des Dupondt dans Le temple du soleil ou un coup de pied au derrière d’un cul-terreux dans La mauvaise réputation, les auteurs font rire. Ce rire peut devenir acide au travers de certaines de leurs représentations, comme quand Brassens demande de la place dans le caveau familial dans Supplique pour être enterré à la plage de Sète ou quand la cleptomanie d’Aristide Filoselle le rend incorrigible. Les choix de vie rapprochent les deux œuvres dans des visions de la société comparables quant aux thèmes de la liberté, de la méfiance des institutions ou du refus de l’engagement. Tintin est un électron libre, tout comme Brassens dans ses chansons. Tous deux sont détachés des soucis matériels. Par ailleurs, Hergé et Brassens sont emplis de doutes. Ils refusent les mystifications et gardent leur libre-arbitre. Un clivage se fait lorsqu’il s’agit des femmes et de l’amour. Brassens fait fi de la morale et chante parfois cru. Chez Tintin, les femmes sont rares et l’amour inexistant, si ce n’est un béguin de Tournesol pour le Rossignol Milanais dans Les bijoux de la Castafiore.
Le dernier chapitre s’attarde sur la religion. Si Brassens s’avoue athée, on l’entend souvent aborder le sujet divin. Comme Hergé, il doute. Il est en tous cas anticlérical alors que le début de la carrière d’Hergé a été fortement influencée par l’Abbé Wallez. Dieu reste pourtant absent des aventures de Tintin. Brassens et Hergé ont des valeurs humanistes chrétiennes. Brassens est un épicurien, tout comme Haddock qui pourrait être un personnage de ses chansons. Dans son livre, Renaud Nattiez démontre tout simplement que les personnages des deux Georges sont des philosophes de vie.
Quand on a fini d’écouter Brassens, on peut recommencer à écouter Brassens. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
One shot : Brassens et Tintin Deux mondes parallèles
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Renaud Nattiez
Éditeur : Les impressions nouvelles
ISBN : 9782874497476
Nombre de pages : 192
Prix : 17 €