Montrez ce sein que je ne saurais voir
« -Rendez-le moi !
-Mais mademoiselle, vous avez perdu la tête. »
Des crabes avancent dans le noir. Ils ne marchent pas de travers comme ils le devraient, mais tout droit. Et pour cause, ce ne sont pas ces animaux que l’on voit parfois sur le sable en bord de plage. Ces crabes, c’est le cancer de Betty qui viennent lui mordre le sein dans la nuit. Quelques semaines plus tard, c’est à l’hôpital qu’on la retrouve. Elle a perdu ses cheveux à cause du traitement. Elle vient de subir une mastectomie. C’est la panique. Il va falloir réapprendre à vivre, elle d’une part, et son compagnon de l’autre, qui va tourner de l’œil la première fois qu’il va se rendre compte qu’elle n’a plus qu’un sein. Alors, avec une force incroyable que seules les femmes peuvent avoir, elle va le soutenir, continuer à le séduire, comme avant.

Au boulot non plus, ce ne sera pas facile. La patronne de Betty n’apprécie pas que la poitrine de son employée, vendeuse en grand magasin, ne soit pas plus sexy. Betty a beau mettre une pomme dans son soutien-gorge, ça ne fait pas le même effet. Et ça a tendance à ne pas rester en place. Alors que rien ne va plus dans son couple, c’est en courant après sa perruque en escapade que Betty tombe sur une troupe de cabaret burlesque installée à bord d’une péniche. Le destin venait de la prendre par la main. Une nouvelle vie allait commencer pour elle.
Jamais maladie n’aura connu pareil traitement en bande dessinée. Le cancer étant déjà en soi un sujet tabou, le cancer du sein l’est encore plus, car il touche à la féminité et à l’intimité. La chimio fait perdre les cheveux. Vais-je m’habituer à la perruque qui va les remplacer ? Avec un sein en moins, mon compagnon voudra-t-il continuer à me faire l’amour comme avant ? Suis-je encore désirable ? Suis-je encore sexy ? Les autrices mettent un grand coup de pied dans la fourmilière, en faisant de Betty le fer-de-lance d’une génération qui n’a pas peur des conséquences de la maladie. Aucune honte à avoir, ni morale, ni physique. Les membres du cabaret burlesque vont démontrer à Betty qu’on peut être heureux avec un gros cul, avec une jambe en moins, ou avec une cicatrice sur la poitrine. Il suffit de se laisser aller.

Les éditions Dargaud rééditent cet album paru pour la première fois en 2017 chez Casterman. Véritable succès, il dénonçait le diktat de la beauté et le business des prothèses mammaires. Bien avant Le jour du caillou, faisant également la part belle aux arts de la scène, la scénariste Véro Cazot signait là son premier grand succès. Au dessin et aux couleurs, Julie Rocheleau relevait le défi d’un album quasi-muet en mettant tant d’amour dans les corps et les âmes abimées. L’album est chapitré par des phrases semblant toutes droites issues de films des années 20, comme Betty Boop, cette pin-up de dessins animés à qui le titre est un clin d’oeil. Les autrices redéfinissent la féminité et ses normes pour le plus grands bien des lectrices, ainsi que des lecteurs qui pourront appréhender autrement la maladie s’ils s’y trouvent un jour confrontés.

Betty Boob devrait être distribuée gratuitement dans les services des hôpitaux qui traitent cette forme de cancer. Les seins de Betty donnent la plus belle leçon de vie qui soit. C’est subtil et c’est beau, aussi bien dans le fond que dans la forme. XXIème siècle, la bande dessinée est féminine ou elle n’est pas. Magistral.
One shot : Betty Boob
Genre : Emotion
Scénario : Véro Cazot
Dessins & Couleurs : Julie Rocheleau
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782205213126
Nombre de pages : 188
Prix : 19,50 €