Ceux qui ne voulaient pas se mêler
« -Antoine Van Der Velde ?
-Présent !
-Paul Herzog ?
-Présent !
-Abel Boucher ?
-Présent !
-Elie Pincemin et Antonin Pincemin, jumeaux ?
-Non, juste cousins.
-Et elle aussi c’est leur cousine ! »
Salomé Boucher est professeur de collège. En ce jour de rentrée, elle fait l’appel. Des enfants de la classe portent le même nom. Ils sont cousins. On retrouve quelques noms comme ça dans le quartier qui sont fréquents. C’est une grande famille genre Amish ou Mormons. Ils seraient près de 3000 dans et autour du onzième arrondissement de Paris. Salomé vient de perdre son père. Avant de mourir, il lui a laissé un paquet avec ce mot : « Ma fille, tu sais que j’ai toujours été joueur. Que je n’ai jamais rien voulu faire comme les autres. Et ce n’est pas maintenant que ça va changer. Ah ah. Et puisque tu es en train de lire cette lettre, c’est que je suis en train de bouffer les pissenlits par la racine. Alors c’est par-delà la mort que je te propose un ultime jeu de piste. Comme ceux que je t’organisais à chaque anniversaire. (…) Je crois que je te dois quelques explications. Je vais te les livrer à l’aide de ce petit calendrier de l’après. (…) Dans le paquet, tu trouveras des enveloppes qui comportent chacune un petit bout de mon histoire, qui est aussi ton histoire. »
Dans ce jeu de piste organisé son père, Salomé Boucher va se découvrir des points communs avec certains des élèves qui sont dans sa classe. Mais elle devra suivre scrupuleusement les instructions et n’ouvrir les enveloppes indices qu’au fur et à mesure. Elle va petit à petit découvrir que le monde de ces enfants dont font partie certains de ses élèves n’est pas si éloigné d’elle que ça. Les familles de cette communauté sont coincées dans le passé. Shorts en hiver, godillots et cartables à l’ancienne, leur communauté d’inspiration chrétienne vit en vase clôt. Avec la révélation des secrets de son père et l’histoire de son couteau, Salomé vit non pas un retour vers le futur mais un avenir vers le passé.
Tout cela ne serait que pure fantaisie ? Pas du tout. Avec aux dessins Tristan Garnier, Suzanne Privat, journaliste scientifique, adapte son enquête publiée en 2021 au sujet de cette communauté endogame secrète implantée au cœur de Paris. Ils sont millénaristes. Ils pensent qu’à la fin du monde Dieu reconnaissant les siens en fera ses élus. S’ils se marient et font des enfants entre eux, ils fréquentent quand même écoles et collèges de leur quartier. Ils ne votent pas, ne partent pas en vacances, ne portent des vêtements ni blanc du divin, ni rouge du malin. Si adultes ils souhaitent quitter ce cercle fermé, ils sont exclus de la communauté. Tant pis s’ils n’ont plus d’amis, ils ne pourront plus revenir. La « famille » est surveillée par la mission intergouvernementale contre les dérives sectaires, même si elle n’est pas considérée comme une secte car ses membres n’ont pas de gourou.
Au fil de la quête de Salomé, au fil de l’enquête de Suzanne, on est abasourdi que des gens vivent ainsi sous nos yeux, à la porte à côté de celle de notre maison. Incroyable, étonnant, hors du temps, mais aussi effrayant, La famille est un reportage qui prend une dimension de thriller. Si Salomé a fait son chemin, on a envie d’en apprendre encore plus sur ce sujet très discret dans les médias.
One shot : La famille
Genre : Reportage romancé
Scénario : Suzanne Privat
Dessins & Couleurs : Tristan Garnier
Éditeur : Delcourt
Collection : Encrages
ISBN : 9782413049296
Nombre de pages : 176
Prix : 22,50 €