Sérenissimes lupus
« -Allez, on s’active ! Les gondoliers ne vont pas tarder à débarquer. On doit être là-bas avant eux.
-Attends, je vais t’aider avec ça. Tu as mal ?
-J’ai l’impression qu’il est encore là. La dévoration l’a effacé si facilement…
-Qu’est-ce qu’on va leur apporter ? Y a plus grand-chose.
-Ils ne vont pas être contents.
-Et alors ?
-Ce soir, c’est la bonne. On les massacre. »
Dans une Venise fantastique, un kamikaze se fait exploser en plein milieu d’un marché. Il a utilisé une bombe D et ses effets surréalistes : distorsion, dispersion, démence et dévoration. Tout ce qui se trouvait dans le rayon d’action est anéanti, disparu, volatilisé, comme la main droite de Renzo. Ça, c’était il y a quelques mois. Aujourd’hui, Renzo est à la tête d’une meute, un groupe de quatre femmes aux masques de louves. Groupe de résistants, ils cherchent à accoster sur l’île noire, en quête de revanche, en quête de sens. A l’instar de Renzo, toutes les louves sont des rescapées d’attentats. Les habitants de l’île noire, menés par les gondoliers, exigent des offrandes, désignant leurs victimes par des cauchemars. S’ils ne sont pas entendus, c’est à un nouvel attentat qu’il faudra s’attendre. Renzo et les louves réussiront-ils à délivrer la Sérenissime de l’emprise dont elle est victime ?
Dans un décor mythique, la scénariste Aurélie Wellenstein écrit une histoire sur le choc traumatique, le désir de vengeance et la résilience après un attentat. On ne peut s’empêcher de penser aux attaques perpétrés ces dernières années près des stades ou au Bataclan. Aurélie Wellenstein transpose le sujet en d’autres lieux, à une autre époque, dans un monde semi-fantastique. Venise est le théâtre du carnaval, des masques et des faux-semblants, du mystère et des fausses identités. Les loups sont des animaux nocturnes, avec un rapport légendaire à la lune. Leurs déplacements en meute sont régis par une solidarité particulière. Sous leurs masques de louves, les vénitiennes s’organisent en anarchistes face à un pouvoir totalitaire. L’histoire est aussi une métaphore politique d’un extrémisme montant que rien ne semble pouvoir arrêter. Les quarante-six planches de l’album paraissent bien courtes, comme si le projet était passé en cours de route de l’état de série à celui de one-shot. Il y a tant d’éléments et tant de rebondissements qu’il faut parfois s’accrocher pour imbriquer les pièces les unes aux autres.
Le dessinateur italien Emanuele Contarini signe son premier album en France. Doté d’un impressionnant sens artistique, il montre une Venise énigmatique. Il se situe pile au milieu de ce que faisait Griffo à la grande époque de Giacomo C. et de Yannick Corboz dans les récentes Rivières du passé. L’immersion est totale, qui plus est quand le cadrage est à hauteur de canal. Ses louves sont aussi belles que déterminées à aller jusqu’au bout de la mission qu’elles se sont fixées. Les monstres de la dernière partie se rapprochent plus de ce que l’on peut voir dans des mangas horrifiques, plus que dans l’heroïc-fantasy classique. De jour comme de nuit, les couleurs d’Alice Scimia donnent le tempo tout au long de l’album.
Quitte à être un one-shot, La Venise des Louves aurait fortement gagné en lisibilité avec une pagination beaucoup plus importante. On reste un peu sur sa fin tellement tout va très vite. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne s’ennuie pas. Et puis, pourquoi se priver d’une histoire dans un décor si exceptionnel ?
One shot : La Venise des Louves
Genre : Fantastique
Scénario : Aurélie Wellenstein
Dessins : Emanuele Contarini
Couleurs : Alice Scimia
Éditeur : Bamboo
Collection : Drakoo
ISBN : 9782490735181
Nombre de pages : 48
Prix : 14,90 €