Destins croisés
« -Tu l’aimes toujours ?
-Oui.
-Et tu sais que tu as perdu la bataille, que le bonheur ne reviendra pas.
-Il ne reviendra pas. Je finirai seule. Vieillir sera affreux !
-Faut-il vieillir ? Est-ce vraiment souhaitable ? »
Elle s’appelle Sophia Cecilia Kalogeropoulos, mais on la connaît mieux sous le nom de Maria Callas. Elle est grecque. C’est une cantatrice. Il s’appelle Pier Paolo Pasolini. Il est italien. C’est un écrivain et un réalisateur de cinéma. Elle est la maîtresse de l’armateur grec Aristote Onassis. Il est l’amant de jeunes homosexuels. Abandonnés par leurs amours, tous les deux sont malheureux. Nous sommes en 1969. Ils se connaissent depuis un an, depuis que le cinéaste a engagé la chanteuse pour jouer le rôle de Médée dans sa tragédie éponyme. Ils s’aiment d’un amour impossible. Leur point commun ? Ils sont incapables de trouver le bonheur. Ensemble, ils vont aller à Rio où dans les favelas Pasolini montrera à La Callas l’une de ses passions improbables : le football.
Jean Dufaux s’empare de la relation platonique entre deux monstres sacrés pour écrire une magnifique histoire d’amour. Nombreux sont ceux qui croient que l’amour c’est le sexe. Cet album montre que c’est bien plus fort que ça. Callas et Pasolini jouissent chacun d’un immense respect de l’autre. Emanuele Trevi le dit dans sa préface : « Et à un certain moment de leur vie, ni jeunes, ni vieux, ils se reconnaissent, ils se comprennent. Ils savent ce qui se passe dans la tête de l’autre parce qu’il se passe quelque chose de très semblable dans la leur. »
Ce n’est pas la première fois que Dufaux s’intéresse au cinéaste. Il y a exactement trente ans, il scénarisait « Pig ! Pig ! Pig ! » pour Massimo Rotundo, une enquête de police dans les années 90 relançant le dossier Pasolini, assassiné sur la plage d’Ostie, près de Rome, en 1975. D’une ambiance très glauque, la vie de Pasolini restait au second plan, et il n’y avait aucune allusion à La Callas. La Callas et Pasolini, un amour impossible est d’un tout autre ton. C’est un bien plus bel hommage, à l’un comme à l’autre.
Sara Briotti signe ici son tout premier album. Dufaux a repéré son travail sur les réseaux. A force de persévérance et de talent, elle s’est emparée de ce double destin dans des décors somptueux de villas ou des ruelles brésiliennes. L’ensemble est d’une finesse impressionnante. Briotti ne tombe jamais dans la caricature. Elle transcende l’émotion, en particulier celle d’une Maria Callas mémorable, jusqu’à la scène finale, apparemment anodine, dans son appartement, où on la voit plus amoureuse que jamais alors que son regard ne croise jamais celui du lecteur. Alain Duault, exégète de la musique classique, revient en postface sur les hommes de la vie de la cantatrice.
« Parfois, je rêve d’une mort qui fauche… Et non pas d’une mort qui attend en ricanant, sûre de gagner la partie. » Pasolini aura une fin tragique. On le sait même si elle n’est pas racontée dans l’album. Impossible aura été son amour avec La Callas ? Platonique en tous cas, c’est sûr. Même s’il n’a pas été charnel, il est certain qu’il était bel et bien réel. On a rarement vu un premier album réaliste aussi abouti. Sara Briotti et Jean Dufaux ont un nouveau projet ensemble autour de la Villa Médicis à Rome. Le sujet promet un résultat tout aussi remarquable.
One shot : La Callas et Pasolini, un amour impossible
Genre : Biopic
Scénario : Jean Dufaux
Dessins & Couleurs : Sara Briotti
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
ISBN : 9791034762460
Nombre de pages : 104
Prix : 25 €