Un art sous contraintes
« -Eh bien ! Que t’arrive-t-il ?
-Koumba… Elle est disparue. Vite, il faut que tu ailles voir son père. »
Si la bande dessinée a plus de cent ans d’existence en Afrique, c’est parce que son apparition coïncide avec l’arrivée des colons européens. Pourtant, il existait déjà dans les civilisations indigènes une culture de l’image et du récit imagé. Les colons vont se servir de ce medium pour faire passer des messages éducatifs, propagandistes et préceptifs aux populations locales. Les envahisseurs vont ainsi impulser et contrôler les connaissances inculquées de leur conception à leur diffusion. Côté francophone (les colons étant aussi anglophones ou lusophones), il n’y eut aucun soutien à l’édition locale en Afrique Noire. Hormis ce qui venait de Madagascar, tout était importé de France. Et s’ils étaient fabriqués sur place, c’étaient des manuels écrits par des fonctionnaires français.
L’essai de Christophe Cassiau-Haurie et de Christophe Meunier s’articule autour de trois périodes : l’introduction de la bande dessinée pendant la colonisation, le cœur des conflits mondiaux, de la Première à la Seconde Guerre mondiale, montrant à l’Afrique que l’homme blanc pouvait vaciller et où les désirs d’indépendance se font ressentir, puis le début des émancipations après 1945 et jusqu’aux années 60, à quelques années près pour certaines exceptions. L’Entre-Deux-Guerres et la décolonisation verront l’émergence de dessinateurs locaux qui travailleront pour la presse locale et créeront quelques personnages récurrents. Revenons sur chacun de ces chapitres.
Avant la Première Guerre Mondiale, se développe donc la bande dessinée en Afrique en tant qu’instrument de colonisation. Ça ne fait pas si longtemps que Rodolphe Töpffer a inventé ce nouveau langage entre la littérature et le graphisme. Né en 1887, le camerounais Ibrahim Njoya se fait remarquer en exécutant des dessins sur le sable avant de rentrer à la cour du sultan où il fera des dessins sur papier. Il réalisa de véritables histoires illustrées comme La rate et les quatre ratons en 1940. En Egypte, c’est dès la fin du XIXème siècle que l’on peut lire les premiers cartoons, à l’époque, c’était des caricatures proches de la BD. James Yaqub Sanua en était l’un des fers de lance. Sur l’Île Maurice et à la Réunion, les journaux satiriques font la part belle aux railleries. Le Voyage de M.Chose dans la mer des Indes, par Antoine Roussin en témoigne. Les treize planches sont reproduites dans cet essai. Le chapitre se clôt sur la situation en Afrique du Sud-Est avec les cartoonistes.
La deuxième partie s’arrête sur le développement de la presse coloniale de 1918 à 1945. En Afrique belge et notamment au Katanga, les dessins humoristiques racistes de Sav rencontrent un certain succès. Les auteurs reviennent sur l’influence des Pères blancs missionnaires. On apprend que Paul Lomami serait l’un des premiers écrivains dessinateurs congolais avec Le match de Jako et Mako paru dans La Croix du Congo en 1933. Il est aussi évidemment question de Tintin au Congo. On passe ensuite en Afrique Noire française, en particulier au Sénégal, avant de regagner l’Afrique du Nord où arrivent les productions francophones. Le cas de ce qui se passe en Egypte est fort intéressant à observer avec la revue Al-Awlad publiant aussi bien des productions locales originales que des réappropriations de Mickey. On finit par un crochet vers l’Union Sud-Africaine où la population blanche fortement présente entraîne le développement de la presse, avec des bandes dessinées au format anglo-saxons plutôt abouties.
La partie trois est consacrée à l’indépendance africaine et à la façon dont les africains se sont emparés de la bande dessinée entre 1945 et 1970. Les auteurs locaux émergent aux côtés de dessinateurs francophones confirmés comme Bara, Follet ou Azara. Au Maghreb, également aussi bien au Congo qu’au Rwanda, des magazines connaissent leurs heures de gloire. Une autre partie du continent restera sous influence britannique. L’Océan Indien et l’Afrique lusophone ne seront pas en reste.
Christophe Cassiau-Haurie et Christophe Meunier démontrent dans cet essai l’influence de la colonisation sur le développement de la bande dessinée en Afrique. Il est judicieux de le lire parallèlement à Hergé, Franquin, le chevalier et le missionnaire, de Philippe Delisle, paru chez PLG. L’époque coloniale est bien révolue. Des productions contemporaines montrent leur détachement par rapport à la BD franco-belge. Mais ça, c’est une autre histoire.
One shot : La bande dessinée en Afrique à l’époque coloniale
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Christophe Cassiau-Haurie et Christophe Meunier
Éditeur : L’Harmattan BD
Collection : Série essais
ISBN : 9782140496172
Nombre de pages : 176
Prix : 20 €