Avant-dernier acte de la série de l’année
« -Qui est ma mère ? Est-elle toujours en vie ? Si oui, où est-elle ?!
-Ta mère s’était engagée comme infirmière sur le front. On s’est rencontrés, par accident, derrière les lignes. C’était une très belle femme, volontaire et courageuse… une artiste aussi.
-Et une allemande !
-Je l’aimais, la guerre, c’est compliqué, Georg… »
Vitry-le-François, juin 1940. A l’intérieur d’une église à demi-détruite, Georg et Sheila, « l’enfant de la honte » et la snipeuse irlandaise qui l’a formé, tombent nez à nez avec Louis Kerbraz. Le soldat français fait face à deux personnes en uniformes allemands. Le père a retrouvé son fils, ou plutôt le fils a retrouvé son père. La ressemblance est frappante. Louis ne savait même pas que Lieselotte, l’infirmière allemande qu’il a aimée, était enceinte. A présent, Georg veut retrouver sa mère. La seule piste qu’il a est celle d’un certain Docteur Mühle, le médecin-chef sous les ordres duquel elle a travaillé lors de la guerre de 14 et qu’elle avait sollicité pour son accouchement. Ça ne va pas être simple. Lieselotte a quitté Berlin. Croyant son fils et Louis morts, elle a tourné la page. Journaliste, elle enquête sur ces camps qui s’ouvrent un peu partout, en Allemagne, en Pologne, et qui accueillent des prisonniers.
Troisième épisode de la saga familiale Visages, Vers la fontaine ardente poursuit l’histoire de Louis, Lieselotte et Georg. Les scénaristes Nathalie Ponsard-Gutknecht et Miceal Beausang-O’Griafa mènent cet épisode pivot en évitant tous les pièges manichéens dans lesquels ils auraient pu tomber. L’école réduit trop souvent ce conflit mondial à une guerre entre les méchants allemands contre les bons français, aidés par les gentils américains. Les auteurs donnent un coup de pied dans ce précepte et justifient par là-même le titre de la série: Visages – Ceux que nous sommes. Dans cet avant-dernier acte, on va découvrir qui sont Louis d’un côté et Lieselotte de l’autre. Georg se cherche encore; il faut en garder pour le final. Les engagements journalistiques de Lieselotte démontrent son objectivité. Une scène cruciale entre Louis et un Oberstleutnant témoigne d’un instant déterminant pour la suite. On fait parfois des gestes, guidé par son instinct, ou tout simplement par son moi-profond. « Oublions la guerre un instant… et trinquons aux idéaux qui font de nous les hommes que nous sommes. »
Le dessinateur Aurélien Morinière poursuit son travail exceptionnel, se remettant sans cesse en question, osant encore des découpages incroyablement efficaces et rarement vus. Pour ceux qui ont l’album sous les yeux, voir les planches 21-22 avec l’enquête de Lieselotte au village de Chetmno, ou les planches 26-27 avec la roulette russe. Il serait enfin temps que des auteurs comme lui soient primés.
Réalisé par les scénaristes de la série, un cahier documentaire complète l’album. Parmi de nombreux sujets, on en apprend plus sur les changements de nationalité imposés aux alsaciens et aux mosellans, sur la bataille de Stalingrad et la fontaine aux enfants, sur le « Belfast Blitz », le régime de Vichy et la répression nazie dans les camps, sur la résistance allemande et le groupe de la Rose blanche.
Vers la fontaine ardente est un titre oxymore. L’eau de la source serait-elle prête à brûler ? le titre est en fait issu de « Si je mourais là-bas », un poème d’Apollinaire, mort à la guerre de 14. La fontaine ardente est le sang. Il le dit à Lou, son unique amour et sa grande folie :
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
— Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur —
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Il va de soi que l’amour entre Lieselotte et Louis, lorsqu’ils se sont rencontrés, était de la même intensité que celui entre Apollinaire et sa promise. Le quatrième et ultime tome, prévu dès le mois prochain, rallumera-t-il la flamme des amants désunis ?
Une série d’entretiens avec les auteurs est disponible sur la chaîne YouTube Boulevard BD. Histoire de guerres, histoire des arts, mais avant tout histoire de personnes, avec un type de narration inédit, osé et efficace, Visages – Ceux que nous sommes est LA série événement de cette année.
Série : Visages – Ceux que nous sommes
Tome : 3 – Vers la fontaine ardente
Genre : Histoire
Scénario : Nathalie Ponsard-Gutknecht & Miceal Beausang-O’Griafa
Dessins & Couleurs : Aurélien Morinière
Éditeur : Glénat
ISBN : 9782344032893
Nombre de pages : 56
Prix : 15,50 €