L’auteur au cœur de la création
« En 1990, sept jeunes auteurs fondent la maison d’édition alternative L’Association. Issus pour la majorité d’écoles d’arts appliqués, diversement intégrés au champ de la bande dessinée, ils se lancent dans l’autoédition à partir d’un constat partagé d’insatisfaction à l’égard des possibilités éditoriales, esthétiques et narratives qui prévalaient alors. Les fondateurs de L’Association considèrent que les années 1980 se caractérisent par la reproduction de recettes des auteurs à succès des deux précédentes décennies et par la domination de la série, du personnage et du genre de l’aventure, au détriment de la singularité des créateurs, éclipsés par leurs productions et contraints éditorialement. »
A l’origine, cette histoire de L’Association est une thèse, écrite par son auteur Benjamin Caraco et dirigée par l’académicien Pascal Ory. Caraco est historien, sociologue, bédéphile et directeur de bibliothèque universitaire. Pour sa thèse, il a mené trente-deux entretiens, analysé le catalogue et accédé aux sources financières. Il a pénétré au cœur de l’entreprise et rencontré ses salariés. Les collections Eperluette et Ciboulettes, entre autres, n’auront plus de secrets. L’Association est une école artistique avec un fonctionnement d’avant-garde. Après l’école (A suivre), c’est la Nouvelle Vague de la BD. C’est la maison de Lapinot et les carottes de Patagonie, de La guerre d’Allan et de L’ascension du Haut Mal. On va assister au succès puis au déclin de L’Association, les déchirements entre Jean-Christophe Menu, l’un des pères fondateurs, et ses acolytes, sa liquidation, puis sa renaissance, jusqu’à son statut désormais indiscutable d’éditeur de référence.

Six chapitres composent l’ouvrage. Première partie : La formation d’un collectif d’auteurs. Benjamin Caraco dresse un portrait des sept auteurs majeurs fondateurs de L’Association, Menu, Trondheim, David B., Stanislas, Killofer, Konture et Mokeït, à partir de leurs lieux de sociabilités. Il montre ce collectif en passant par trois événements particuliers : la fondation en 1990, la séparation en 2005-2006 et la grève des salariés en 2010-2011 qui a entraîné le retour des fondateurs après la décision de Menu qui voulait procéder à des licenciements. Dans ce chapitre, Caraco n’oublie pas ceux qu’il appelle les parrains, auteurs déjà connus et reconnus qui sont venus apporter leur pierre à l’édifice comme Dupuy et Berbérian, Baudoin ou Goossens, ainsi que la seconde vague de nouveaux auteurs avec Vanoli, Blutch, Sardon, Baraou, Parrondo, Ayroles, Gerner, Lécroart, Sfar, Guibert, Delisle, Satrapi, Sattouf. Avec les auteurs, Caraco soulève la question cruciale de la rentabilité dans une structure alternative comme celle-ci : l’objectif est-il de vivre de la bande dessinée ou pour la bande dessinée ?

Deuxième partie : Une inscription décomplexée dans l’histoire de la bande dessinée. Dans la plupart des cas, il est plus question de vocation que de carrière. Les auteurs sont en recherche de styles et de procédés narratifs découlant des travaux de leurs prédécesseurs tout en évoluant dans un espace des possibles. Leurs influences sont tout autant internes, venant de l’univers de la BD, de l’école franco-belge à l’underground américain, qu’externes, liées aux autres formes d’Arts : cinéma, littérature, musique,…

Troisième partie : Une maison d’édition d’auteurs. L’Association revendique son indépendance éditoriale induisant la qualité de son catalogue. Les partis prix éditoriaux et les contraintes économiques vont engendrer des frictions. Caraco compare son fonctionnement à celui d’une entreprise pour en dégager les points communs et les différences. On y parle de statuts, de bureau, d’adhérents, de gouvernance, de salariés (et de leurs profils). Il explicite la gestion faite par Menu et ses conséquences, comme par exemple l’édition du pavé Comix 2000 au sujet duquel il déclarait : « Risquer de crever pour un beau projet, ça vaut le coup. »

Quatrième partie : Accompagner les œuvres par le discours. Editer un livre, ce n’est pas seulement l’imprimer. Le discours d’accompagnement des albums de L’Association est l’un des signes distinctifs de la maison, qui a contribué à la légitimiser. Si au départ Menu s’en chargeait, avec une réception parfois mitigée, les auteurs ont pris la main dessus. Petit à petit, du mythe du groupe fondateur à la création du logo de l’hydre, L’Association s’est construit une légende bien réelle, une histoire qui n’appartient qu’à elle.
Cinquième partie : Le catalogue, expression d’une politique éditoriale au-delà du discours. Après s’être penché sur les auteurs, Benjamin Caraco analyse le catalogue, situant les productions individuelles au sein d’un ensemble. La maison revendique l’originalité comme stratégie de distinction. Il y est question de politique éditoriale évidemment, de stratégies de collections cadrant, ou plutôt classifiant, les productions, tout en gardant cette fameuse notion d’originalité. Avec des graphiques et des tableaux, l’auteur détaille les chiffres et présente chaque collection comme Patte de mouche ou Ciboulette, sans oublier la revue Lapin et l’Oubapo, ouvroir de bande dessinée potentielle, créé à l’image de l’Oulipo, groupe de littérature expérimentale fondé par Raymond Queneau et François Le Lionnais en 1960. Caraco ausculte enfin le catalogue par le prisme des genres et des thématiques traitées.

Sixième partie : La construction en référence. La dernière partie permet de comprendre comment L’Association se construit en référence d’une édition de bande dessinée exigeante, revendiquant le terme album plutôt que livre, afin de rattacher ses publications au monde de la littérature. On va parler des rapports avec la presse, des refus des services de presse à un assouplissement stratégique, du discours de Trondheim élu Grand Prix à Angoulême en 2006 où il fustige les journalistes. Enfin, on parle des rapports de L’Association avec les festivals, d’expositions, de traductions et d’adaptations, notamment au cinéma.
L’Association est la maison d’édition qui a remis l’auteur au cœur de la création. En 35 ans, elle a réussi sa mission. Tout ça valait bien une thèse. Benjamin Caraco l’a faite. Au cœur du processus éditorial, l’aventure se lit comme un roman.
Titre : Une histoire de L’Association
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Benjamin Caraco
Préface : Pascal Ory
Éditeur : Presses universitaires François Rabelais
Collection : Iconotextes
ISBN : 9782869069510
Nombre de pages : 270
Prix : 27 €