Un mythe non consensuel au succès incontestable
« Bien des lecteurs de ma génération ont appris à lire avec Tintin : devenus des « surenfants », ils sont entrés dans la peau du héros ! Mais ne doit-on pas faire la part des choses ? Ne peut-on pas soupçonner qu’il s’agisse d’un malentendu ? Notre attachement justifie-t-il de plonger dans la béatitude des idolâtres et l’aveuglement des tintinophiles inconditionnels ? Peut-on encore inciter nos propres enfants à lire Tintin sans la moindre mise en garde ? » Renaud Nattiez
Faut-il brûler Tintin ? C’est une question bien provocante que pose Renaud Nattiez en titre de son nouvel ouvrage autour de Tintin, Hergé et leur univers. Malgré plus de deux millions d’albums vendus tous les ans, Hergé et Tintin ne sont pas admirés par tous. Nattiez définit les tintinophobes comme des personnes que Tintin laisse indifférents. Contrairement aux idées reçues, Hergé n’est pas consensuel. Il reste contesté à cause du colonialisme, de la misogynie, de son attitude pendant la guerre ou du racisme. Tintin en Amérique a été brûlé en Ontario. Tintin au Congo n’est pas traduit en Afrikaans. Faut-il encore faire lire Tintin à nos enfants ? Et y sont-ils seulement intéressés ? Pourtant, afin d’entrer dans cet univers, il est nécessaire de le faire dans l’enfance. Il est beaucoup plus complexe d’y pénétrer plus tard.
Le personnage de Tintin n’est pas moralisateur, sauf parfois envers Haddock ou envers Milou. Il ne fait pas de prêchi-prêcha. Hergé s’est éloigné des influences morales de ses débuts. Hergé était un dramaturge. Il met en scène des personnages récurrents, comme chez Balzac, qui ont une vie entre les albums. Avec l’Alph’Art, Hergé laisse Tintin dans une situation qui le conduit à la mort. On n’en connaît pas l’issue. Alors, Hergé a-t-il tenté lui-même de brûler Tintin ? L’auteur avouait à son personnage avoir voulu en vain lui ressembler, être un héros sans peur et sans reproche. Cette illusion s’est envolée. S’en serait-il donc débarrassé pour effacer cet idéal inatteignable ?
Renaud Nattiez aborde ensuite le sujet des centaines de tables rondes, conférences, interviews et colloques consacrés à Tintin. Y a-t-il donc toujours quelque chose à dire ? L’exégète répond évidemment par l’affirmative. Le contraire serait se tirer une balle dans le pied. Il le prend cependant avec beaucoup d’humour, se préservant d’un ouvrage de 678 pages sur L’oncle Anatole, pierre angulaire et avunculaire du dernier quart de l’œuvre d’Hergé, tout en reconnaissant qu’il n’y a plus grand-chose à rajouter aux essais existants. En tant que lecteur de ce type d’ouvrage, il faut reconnaître que chacun d’entre eux est passionnant, en particulier tous ceux composant la feu collection Zoom sur Hergé rebaptisée 1000 sabords. Renaud Nattiez le prouve dans la partie suivante du livre qui nous amène au cœur de l’œuvre, dans une comédie humaine aux multiples personnages, dans des lieux réels ou imaginaires finement pensés, et avec, très important, une structure qui rassure, avec des invariants structurels. Pour la première fois, un analyste apporte une vraie réponse au succès de la série.
Que l’on soit tintinophile, tintinophobe ou tintinosceptique, cet essai s’adresse à tous. Renaud Nattiez les rassemble dans une démonstration de haut vol qui apporte les preuves qui manquaient aux raisons du succès de l’œuvre d’Hergé. L’absence de nouveautés entraînera-t-elle Tintin vers l’oubli ? S’y intéressera-t-on encore dans trente ou quarante ans ? Les avis des spécialistes divergent, mais il y a fort à parier que dans quelques siècles on lira encore Tintin comme on lit aujourd’hui Balzac ou Maupassant. Les classiques ne meurent jamais, surtout quand ils permettent de se rappeler qu’on est toujours enfant. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
One shot : Faut-il brûler Tintin ?
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Renaud Nattiez
Éditeur : Sépia
Collection : 1000 sabords
ISBN : 9791033405504
Nombre de pages : 224
Prix : 20 €