Modern Love
« Il y avait une fois un marchand, qui était extrêmement riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles ; et comme ce marchand était un homme d’esprit, il n’épargna rien pour l’éducation de ses enfants, et leur donna toutes sortes de maîtres. » Ainsi débute La Belle et la Bête, conte universel signé Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, que l’on retrouve ici dans sa version originale du XVIIIe siècle, illustré par Jul, dans un esprit XXIe siècle.
Tout le monde ou presque connaît l’histoire, les plus vieux parce qu’on leur en a lu une version petit, les plus jeunes parce qu’ils ont vu l’adaptation Disney, fort réussie, en dessin animé. Pour les autres, en voici le pitch, comme on dit… au XXIe siècle.
La Belle est le nom de la plus jeune fille de la famille. Très attachée à son père, elle préfère lui tenir compagnie plutôt que de se marier. Le temps passa, la richesse familiale se dissipa mais La Belle ne voulut jamais abandonner son père. Tous durent quitter la ville et s’installer dans une modeste maison de campagne. Un soir de tempête, le père, trouva refuge dans un palais, semblant vide de vie mais où il trouva de quoi manger et dormir, luxueusement. Le lendemain, alors qu’il cueillait une rose avant de repartir, une bête horrible surgit dans un grand bruit, l’accusant de voler ses roses. Il sera pardonné si l’une de ses filles vient volontairement pour mourir à sa place, sinon, il devra revenir lui-même dans trois mois. Hors de question de sacrifier une de ses enfants. L’homme, déjà vieux, reviendra. C’était sans compter sur la détermination de La Belle : « J’aime mieux être dévorée par ce monstre, que de mourir du chagrin que me donnerait votre perte. ». Coûte que coûte, elle ira au château. Elle ne savait pas que rien n’allait se passer comme prévu, ni pour elle, ni pour la Bête.

A l’origine, ce livre devait être distribué gratuitement à tous les élèves de CM2 et le livre édité par le Ministère de l’Education Nationale. Depuis plusieurs années, c’est désormais de tradition, un ouvrage est ainsi offert aux futurs collégiens. En 2025, le Ministère demanda donc à Jul d’illustrer La Belle et la Bête. On connaît tous le côté décalé de Jul. Pas de problème. Son projet est validé. Il se met au travail. Au moment de rendre sa copie, volte-face du Ministère qui, jugeant les illustrations subversives, renonce à l’éditer. Par bonheur, les éditions du Grand Palais Réunion des Musées Nationaux rattrapent le coup et publient le livre, dont les écoliers ont été injustement privés. (En cadeau de substitution, ils auront eu L’Odyssée d’Homère illustrée par Catel, fort beau soit dit en passant.)

Mais qu’est-ce qui a mis donc le feu aux poudres ? Jul propose des illustrations modernes et décalées. Le texte moyenâgeux est accompagné de dessins replaçant l’action de nos jours. La famille de La Belle est d’origine algérienne. Les sœurs sont addicts des réseaux sociaux. Pour son commerce, le père fait importer des marchandises de contrefaçon. Dans le château, bourré, il chante du Michel Sardou. Les goûts musicaux de La Bête vont de Liszt à Om Khalsoum en passant par Eminem et Lalaland. Il y a même la célèbre pâte à tartiner El Mordjene au petit déjeuner. Bref, c’est rigolo et jamais méchant. Pour une fois que quelqu’un avait trouvé le moyen d’intéresser les mômes à un texte classique de la littérature française, il faut qu’on lui mette des bâtons dans les roues. « Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage. » En censurant Jul, l’Education Nationale s’est tirée une balle dans le pied. Une honte.

La Belle et la Bête se prennent en photo en selfie en couverture. Le ton est donné, mais le temps est aussi donné. Jul illustre anachroniquement un texte resté dans son jus. Dépoussiérant et réjouissant.
One shot : La Belle et la Bête
Genre : Conte
Scénario : Jeanne-Marie Leprince de Beaumont
Dessins & Couleurs : Jul
Éditeur : GrandPalais RmnEditions
ISBN : 9782711881420
Nombre de pages : 76
Prix : 14,90 €