Carnet en territoire zéro chômeur longue durée
« -Je traverse la rue et je vous trouve un travail.
-Sur le chômage, on a tout essayé.
-Je fais comment pour retrouver un boulot ? Y a rien dans la région.
-J’ai déjà été au chômage. Le chômage, c’est passer de la vie à la survie. »
D’aussi loin qu’il s’en rappelle, Mathieu Siam a le souvenir des journaux télévisés annonçant les chiffres du chômage. Faisant fi du fatalisme mitterrandien et du déni macroniste, le fléau se répand de façon tentaculaire. Mais que se passe-t-il loin des caméras ? Que deviennent ces gens qui ne trouvent pas d’emploi ? Comme un papillon dans la nuit, Mathieu va s’intéresser à ce qu’il se passe dans son quartier où des habitants ont décidé de ne pas se résigner et de rallumer une étincelle d’espoir. L’expérimentation se nomme TZCLD : territoires zéro chômeur longue durée. Elle vise à lutter contre le chômage en proposant des emplois à des personnes qui en sont éloignées depuis longtemps. Une EBE (entreprise à but d’emploi) a été créée. Elle propose des activités économiques utiles pour la communauté locale (rénovation de bâtiments, recyclerie, maraîchage,…). Un groupement d’employeurs socioculturels s’occupe d’accompagnement à la personne (activités seniors, périscolaire,…). Pour en bénéficier, les chômeurs doivent habiter le territoire depuis six mois et être en recherche d’emploi depuis plus d’un an.

Mathieu Siam suit les membres de l’association et les bénéficiaires avec son carnet à dessin en moleskine. Gwen, le président de l’entreprise Papiole, est dans l’empathie et le respect, vouvoyant chaque personne, en la regardant dans les yeux. La mairie a mis des locaux à disposition en échange de bons soins. Jocelyn raconte comment il s’est libéré en intégrant la structure. Outre du travail, c’est aussi une resocialisation que trouvent les chômeurs. On apprend, effarés, à combien revient un emploi au SMIC à un patron et on comprend mieux les difficultés que cela engendre. Le TZCLD a pour objectif de combler par des ventes ou des services la différence entre ce coût et le salaire reçu par le travailleur, afin qu’un actif dans la structure ne coûte pas plus cher que son inactivité. Siam met en avant les super-héros du quotidien qui s’investissent de façon complètement altruiste, au prix d’un travail incroyable, qui pourrait faire croire à certains qu’ils ont des solutions miraculeuses. Mais non, c’est bien plus compliqué.

Les albums reportages ont un défaut majeur : ils ne font parler que de leur sujet. C’est bien, c’est très bien, c’est même primordial. Mais on a trop souvent tendance à éluder le traitement graphique. Si le reporter Mathieu Siam réalise une enquête minutieuse, un recueil de témoignages objectif, l’artiste Mathieu Siam signe un album de bande dessinée techniquement très intéressant. Tout n’est pas encré dans ces cases. Le travail d’aquarelliste prend le pas sur celui de l’encreur. Ce dernier n’est là que pour mettre certains éléments ou personnages en exergue, et parfois même seulement des éléments, des morceaux des acteurs : une main, des lunettes,… Quelques paysages pleines pages marquent les transitions. Des cases débordent les unes sur les autres comme les fumées des usines qui sont les motifs d’un polo. Siam utilise très peu de couleurs, sauf vers la fin, comme un espoir qui renaît, comme un battement d’ailes de papillon.

L’effet papillon est un album à faire lire aux étudiants en sciences économiques et sociales. Il montre que des initiatives comme celle-ci peuvent servir de socle à une réinsertion sociale, pivot d’un équilibre nécessaire au pays. Le livre remet également les politiques à leur place, celle qu’ils n’occupent pas et qu’ils devraient. « Chacun a le droit de travailler et le droit d’obtenir un emploi. » Heureusement que le tissu associatif est là pour tenter d’appliquer cet alinéa de la constitution de 1946.
One shot : L’effet papillon
Genre : Reportage
Scénario, Dessins & Couleurs : Mathieu Siam
Éditeur : Des ronds dans l’O
ISBN : 9782374181592
Nombre de pages : 160
Prix : 24,90 €