Ami entends-tu le vol noir des corbeaux
« -Police, vos papiers… Je vois que vous êtes en règle, Monsieur… Je vous prierai tout de même de m’accompagner jusqu’à nos bureaux… Une simple vérification.
-Gerbier ?!
-Désormais, je m’appelle aussi André Roussel.
-Vous me dites votre nom secret parce que… vous allez me tuer !!! »
Camp de Saint-Paul-d’Eyjeaux, en Haute-Vienne, dans le Limousin, avec la complicité de l’un de ses codétenus, un homme s’apprête à s’évader. Nous sommes en pleine Seconde Guerre Mondiale. Il va rejoindre les membres d’un réseau de Résistance. Quelques semaines plus tard, à Marseille, un homme attend qu’on vienne le chercher. Embarqué dans une voiture par des supposés policiers, il comprend rapidement qu’il est là pour être exécuté. Depuis que sa compagne a disparu, le réseau a fait l’erreur de continuer à l’employer. « Pour l’action, la délation, la mort. » Dans une froideur implacable, le traître se laisse étouffer dans une villa isolée. L’action est dirigée par Philippe Gerbier, l’un des membres d’un réseau de résistance, qui, au fil des années de guerre, va lutter contre l’envahisseur, sans pitié, ni pour l’ennemi, ni pour ses propres participants, ni pour soi-même.

Adapté du roman de Joseph Kessel, L’armée des ombres recueille des témoignages de résistants français. Là où le phénomène est encore plus étonnant, c’est que le roman est paru en 1943, en plein conflit. Kesssel faisait partie des forces françaises libres. Exilé à Londres, l’auteur a changé les lieux des événements et les noms des témoins pour préserver leur protection. A 45 ans, trop âgé pour combattre, c’est le général de Gaulle lui-même qui lui a suggéré, en tant que journaliste-écrivain, de faire avancer le combat de la Résistance en assemblant ses mots, en la faisant connaître, en la magnifiant.
En 1969, le réalisateur Jean-Pierre Melville en proposera une version cinématographique avec un exceptionnel Lino Ventura dans le rôle de Philippe Gerbier.

Dans la droite ligne de son travail auprès de Madeleine Riffaud, Jean-David Morvan poursuit un devoir de mémoire dans une bibliographie qui commence à avoir son importance. Outre la série Madeleine résistante, dont trois tomes sont déjà parus, il faut citer Adieu Birkenau, Simone, Irena, Les amis de Spirou, ou encore entre autres Missak, Mélinée et le groupe Manouchian. Toutes ces histoires sont en relation et parfois se croisent, comme en témoigne Madeleine Riffaud elle-même, en postface de cet album, qui a rencontré la Mathilde, qui ne s’appelait pas Mathilde, de L’armée des ombres. C’est avec émotion qu’on lit ce paragraphe, dernière intervention de Madeleine qui nous a quitté récemment. Elle nous donne ici la mission la plus précieuse : « Faites tout pour préserver la paix, elle est fragile. »
Accompagné aux décors par Benoît Lacou, Emmanuel Moynot retrouve l’ambiance sombre de ses premiers albums, dans ce contexte historique malheureusement bien réel, mais cette fois-ci avec des couleurs, les couleurs obscurcies du trio Oshima-Martin-Bertheloot qui appuient le côté caché des actions de résistance.

« Ici, chacun sait ce qu’il veut, ce qu’il fait quand il passe. Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place. Demain du sang noir sèchera au grand soleil sur les routes. Chantez, compagnons, dans la nuit, la liberté nous écoute. » La dernière strophe du chant des partisans, du même Joseph Kessel et de Maurice Druon, est la parfaite synthèse de cette Armée des ombres, transposée ici avec puissance pour la bande dessinée.
One shot : L’armée des ombres
Genre : Histoire
Scénario : Jean-David Morvan
Dessins & Couleurs : Emmanuel Moynot
Décors : Benoît Lacou
D’après : Joseph Kessel
Éditeur : Philéas
ISBN : 97824914
Nombre de pages : 144
Prix : 21,90 €