Dénonciation de l’inceste
« -Ivan ! Regarde ce que j’ai trouvé ! Il ne me manque plus que Aigle Doré et j’aurai tous les justiciers ailés…
-Super ! Alors tu peux les envoyer se battre contre l’homme en noir !
-L’homme en noir n’existe pas…
-Ça va, c’est bon… Je plaisante… »
Mattéo est un petit garçon tout ce qui semble de plus équilibré. Il vit avec ses parents et son chien dans un pavillon de quartier résidentiel de banlieue. Mais ses nuits sont peuplées de noir. C’est toujours le même cauchemar. Il habite dans un immeuble, une de ces tours aux milliers d’habitants anonymes, et un homme en noir s’approche de lui. Ça le perturbe. Quand il se réveille, en règle générale, il a fait pipi au lit. Sa chambre est un sanctuaire. Les figurines de ses super-héros préférés le protègent. Il vient d’en avoir une nouvelle, Super Faucon, dans l’œuf-surprise que lui a offert son père, comme tous les dimanches ou tous les jours où l’on a envie d’offrir un cadeau à son fils préféré. Après l’école, c’est le temps des retrouvailles avec le chien Tommy, l’heure des devoirs, le dîner en famille, quelques dessins animés, le brossage des dents, puis le moment de retourner dans sa chambre pour la nuit… une nouvelle nuit d’angoisse.
L’homme en noir est une histoire qui traite d’un sujet complexe à aborder : l’inceste. Dans les discrets remerciements des auteurs en préface, le scénariste Giovanni Di Gregorio l’annonce : « Cette histoire est librement inspirée de mon expérience personnelle, même si je ne m’en sui rendu compte qu’à la fin. » Avec le récit de Mattéo, loin des Sœurs Grémillet, il exorcise un cauchemar de la réalité dont on ne se remet jamais. Il faut une résilience incroyable. Di Gregorio brouille les pistes en nous envoyant dans des directions qui ne mènent pas droit au bourreau. On est même parfois perdus entre la maison pavillon des jours et l’immeuble des nuits, tant et si bien qu’on se demande parfois où vit réellement la famille de Mattéo. A la fin, comme lui, on assemble toutes les pièces du puzzle pour comprendre la métaphore.
Qui aurait pu se douter que le graphisme de Grégory Panaccione pouvait dégager autant d’émotion ? Avec un dessinateur réaliste, il aurait été facile de tomber dans le pathos et le larmoyant, mais sans forcément du recul. Avec le semi-réalisme de Panaccione, on atteint une autre dimension, faussement rassurante pour les jours, étonnamment terrorisante pour les nuits. Les double-planches posent des scènes suspendues. La porte qui se referme sur la chambre vide de Mattéo le matin ou la chute virtuelle au milieu des tours sont des images infiniment puissantes, comme celle, glaçante, de Mattéo, dont on voit les yeux écarquillés dans le reflet de la vitre, apercevant par la fenêtre l’homme en noir debout sur le toit de la maison voisine, tel un croque-mitaine, cigarette à la main, qui lui fait coucou. La couverture synthétise à elle seule le concept d’emprise : le bourreau écrase l’enfant de tout son poids en éteignant son mégot.
L’homme en noir est un album témoignage qui peut aider à délier des langues. L’inceste est un crime qui a tendance à culpabiliser les victimes. Si l’album peut aider, même des années après, ne serait-ce qu’une seule personne à dénoncer, il aura atteint son but. Au-delà du message, le livre est scénaristiquement et graphiquement remarquable. Indispensable.
One shot : L’homme en noir
Genre : Emotion
Scénario : Giovanni di Gregorio
Dessins & Couleurs : Grégory Panaccione
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
ISBN : 9782413082729
Nombre de pages : 128
Prix : 19,99 €