L’histoire de Lisette Moru, résistante bretonne
« -Sur quel sujet avez-vous prévu de travailler maintenant ?
-Je ne sais pas encore… Peut-être sur les femmes résistantes. Je me suis aperçue qu’il y avait beaucoup moins d’écrits sur leurs parcours. »
En Bretagne, après une conférence sur La résistance dans le Morbihan, la journaliste Stéphanie Trouillard dédicace son livre Mon oncle de l’ombre, enquête sur un maquisard breton. Elle est interpelée par un homme qui l’invite à travailler sur les femmes résistantes, héroïnes sur lesquelles il y a très peu d’écrits. Après son enterrement, il a découvert que sa tante était dans la résistance. L’idée fait son cheminement dans le cerveau de la reporter. Et si elle se penchait sur l’histoire d’une résistante du Morbihan ? En naviguant sur le site www.memoirevive.org, elle tombe sur la biographie de Marie-Louise Pierrette Moru, dite Lisette Moru, déportée à Auschwitz où on lui gravera le matricule 31825. Née le 27 juillet 1925 à Port-Louis, elle fut dénoncée à 18 ans pour avoir fleuri le monument aux morts de Kerzo. Arrêtée en décembre 1942 avec Louis Séché, elle mourra l’année suivante. Elle faisait partie du convoi des 31000 femmes déportées à Auschwitz. Stéphanie est envoûtée par sa photo. « Ce regard et ce sourire, sur une photo prise à Auschwitz, le contraste est si fort ! »
Il n’en fallait pas moins pour lancer Stéphanie dans une enquête. Elle commence en allant interroger Jeannine Barré, à Port-Louis, non loin de Lorient, qui a œuvré à la mémoire de Lisette. François, le frère de Jeannine, a été déporté dans le même camp de concentration en tant que communiste. C’est en faisant des discours lors de cérémonies que Jeannine a appris que Lisette avait fait le même voyage et que ses parents habitaient non loin de chez elle. Ceux-ci lui ont appris les conditions de l’arrestation de leur fille, dénoncée par quelqu’un « d’ici ». Avec les maigres indices récoltés par Jeannine, Stéphanie va pouvoir poursuivre son enquête avec des bases, en rencontrant tout d’abord la nièce de la disparue. On va ainsi remonter jusqu’à l’enfance de Lisette et l’accompagner, comme Louis, jusqu’à leur destination finale.
Après Ginette Kolinka, récit d’une rescapée d’Auschwitz-Birkenau, les éditions Des ronds dans l’O frappent une nouvelle fois très fort avec le nouvel album de la scénariste de Si je reviens un jour…, les lettres retrouvées de Louise Pikovsky. Stéphanie Trouillard, journaliste à France 24, retrace les destins de Louis Séché et Lisette Moru, résistants bretons. L’histoire est transcendée par les clichés d’identification de Lisette, souriante, sur les photographies prises à son arrivée dans le camp de la mort, comme un paradoxe, comme un oxymore, comme un moyen de dire aux bourreaux : « Vous avez capturé mon corps, vous ne vous emparerez pas de mon cœur. » Ce triptyque bouleversant dessiné en couverture est montré en annexe. On voudrait pleurer, mais Lisette semble nous retenir, nous donnant une hallucinante leçon de vie et de courage. Les autres photographies montrent des portraits de Lisette et de Louis à différentes époques de leur si courte vie, et quelques photos des lieux de leur cheminement vers la mort. Poignant. Un webdocumentaire de la scénariste est visible sur : https://webdoc.france24.com/sourire-auschwitz. Renan Coquin dessine l’enquête, la quête, avec une grande sobriété, un respect certain, s’effaçant derrière l’histoire des véritables héros de la tragédie.
Il est hallucinant de voir comment les albums sur 39-45 se succèdent avec chacun leur force et leur particularité, chacun apportant un témoignage nouveau, un pan de mémoire nécessaire. Le sourire d’Auschwitz est une histoire, une image, qui s’ancre avec force dans les esprits. Hypnotique.
One shot : Le sourire d’Auschwitz
Genre : Reportage
Scénario : Stéphanie Trouillard
Dessins & Couleurs : Renan Coquin
Éditeur : Des ronds dans l’O
Collection : Les témoins racontent l’Histoire
ISBN : 9782374181431
Nombre de pages : 112
Prix : 22 €