Itinéraire d’un génie
« Ce qui frappe le plus chez Franquin, c’est l’infinie complexité de ses dessins. Au fil des lectures et des relectures, on découvre une multitude de détails qui échappent au premier abord : l’auteur n’a cessé d’ajouter des « gags dans les gags », selon son expression. Le lecteur peut très bien lire ses récits sans s’y arrêter (…) mais si l’on prend le temps de s’y attarder, on découvre quantité de « messages » inscrits en filigrane dans ses planches. » Bob Garcia
Le 3 janvier 1924, il y a tout juste cent ans, naissait André Franquin, celui qui allait devenir l’un des plus grands génies d’un art encore balbutiant : la bande dessinée. A cette occasion, Bob Garcia propose une analyse détaillée de l’œuvre du Maître. Dès l’introduction, il donne le ton. On va découvrir des messages écrits en filigrane dans les cases, comme le titre du film diffusé au cinéma devant lequel passent Spirou et Fantasio dans La mauvaise tête. Compte tenu des lettres que l’on peut lire à l’écran et de la date de création de l’histoire, Garcia démontre qu’il s’agit de O Cangaceiro, primé à l’époque au festival de Cannes. C’est dans ce genre de détails qu’il va nous amener, pour une lecture immersive dans l’esprit du créateur.
Le premier chapitre, Naissance d’une vocation, revient sur l’enfance de Franquin dans un faubourg de Bruxelles et les origines de sa passion pour la bande dessinée : Mickey, Donald, Hergé, Caniff, … Il sera marqué en particulier par un personnage dans la série Popeye, par Segar : le pilou-pilou, une bestiole jaune qui pourrait être l’ancêtre d’un certain marsupial. Franquin le dit en parlant pour toute œuvre de cryptomnésie, une mémorisation inconsciente d’événements vécus ou de lectures effectuées. Après avoir commencé des études à Saint-Luc, il quittera l’institut à la Libération pour entrer dans un studio de dessin animé avec Peyo et Morris, puis ce sera l’arrivée dans le monde de la bande dessinée en débarquant à la rédaction de Spirou pour suppléer le grand Jijé, auteur à mettre au pinacle, exactement au même rang que Franquin, Hergé, Morris et Uderzo. (Jijé est trop souvent au second plan et c’est profondément injuste, mais ça, c’est une autre histoire) Bref, Franquin va apprendre son véritable métier sur le tas. Sa carrière va ne plus jamais s’arrêter pour atteindre les sommets que l’on connaît.
Chaque partie du livre de Bob Garcia est ensuite consacrée à chacune des œuvres majeures de Franquin, avec leurs lots d’anecdotes. On commence évidemment avec Spirou, avec des aventures qui s’étoffent au fil de la carrière de leur auteur. Bien évidemment, le tintinologue qu’est Bob Garcia n’allait pas se priver de faire des analogies avec quelques aventures du reporter à la houppe. Dès La maison préfabriquée, il est question de réminiscence avec un plan qui s’envole des mains de Fantasio. Mais ça, c’est Jijé qui avait laissé l’histoire en plan là. Quand il récupère le papier, Fantasio s’exclame « Je l’ai ! », tout comme Tintin l’a fait quand il lui est arrivé la même chose dans Les cigares du Pharaon. Mais qu’on ne s’y trompe pas, on n’est pas dans un livre comparatif entre les œuvres d’Hergé et de Franquin. Radar le robot est inspiré du Métropolis de Fritz Lang. Garcia expose les origines possibles du Comte de Champignac : grand-père de Jean Doisy ou camarade de studio de dessin animé de Franquin ? Au début du Nid des Marsupilamis, quand Seccotine traverse un chantier en scooter, c’est Gaston qui est dessiné sur le panneau de signalisation. Dans QRN sur Bretzelburg, le Docteur Kilikil est inspiré par le bourreau nazi Josef Mengele, médecin également, et son nom provient de la chanson Kili Watch du groupe belge The Cousins, sorti en 1960.
Les chapitres suivants, évidemment plus courts, sont construits sur le même principe. Modeste et Pompon, Gaston Lagaffe, Les idées noires et les autres œuvres sont passées au crible. Le gaffeur offre un pull moche à Mademoiselle Jeanne, deux ans après Le Père Noël est une ordure. Garcia parle aussi d’un Franquin visionnaire qui, dans les fameuses idées noires, dénonce des manipulations avec des virus introduits dans des bactéries. En annexe, l’auteur recense quelques clins d’œil et hommages de Franquin à ses pairs.
A travers son œuvre, le livre de Bob Garcia démontre que Franquin apporte de précieux témoignages sur une époque dont il était chroniqueur. Il met en évidence l’auteur talentueux, modeste, et tout aussi mélancolique qu’enthousiaste. Franquin Les secrets d’une œuvre est un livre précieux pour tous les franquinologues confirmés ou en devenir.
One shot : Franquin Les secrets d’une œuvre
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Bob Garcia
Éditeur : Editions du Rocher
ISBN : 9782268109930
Nombre de pages : 352
Prix : 19,90 €