Douze albums au pied du sapin
Comment choisir 12 albums sur une année de lecture de plus de 400 titres ? Forcément, le résultat est subjectif, mais il est là. Choisir, c’est renoncer. Voici donc, sans classement, la sélection des douze albums retenus pour vous et qu’il est encore temps de déposer au pied du sapin. Parmi eux, sera décerné début janvier le prix Boulevard BD d’or 2023.

Les amis de Spirou 1 – Un ami de Spirou est franc et droit…
Des enfants de la résistance
« – Pardon… Je suis fort affecté… Pendant l’occupation, j’ai rencontré des hommes, des femmes… qui ne donnaient jamais leurs vrais noms. Parmi ces artisans clandestins de la libération, certains ont échappé jusqu’au bout aux balles et aux guet-apens. D’autres n’ont pas eu cette chance. Deux d’entre eux sont morts en martyr de la liberté. Au début de la guerre, vous aviez 12 ans, 13 ans… Vous étiez unis par la bande dessinée depuis quelques années. Des enfants qui ne pensent qu’à lire, jouer, et pourtant… »
31 décembre 1944, cimetière de Marcinelle. Jean Doisy pleure sur la tombe de deux jeunes résistants, morts pour la patrie. Ils étaient des amis de Spirou. Ils faisaient partie d’un groupe de six membres. Remontons l’histoire, quatre ans et demi plus tôt, en août 1940. Cinq garçons assistent aux horreurs perpétrées par l’occupant nazi. Ils étaient fiers d’appartenir à un club pour rire créé en 1938 dans le journal de Spirou, au temps de l’insouciance. Un club pour rire, oui, mais avec des valeurs de morale. C’est ainsi que ce groupe d’amis recueille Miche, une petite fille juive dont la famille vient d’être raflée. Ensemble, ils vont lutter contre l’envahisseur.
David Evrard et Jean-David Morvan s’emparent du code d’honneur des amis du journal de Spirou pour raconter une histoire de résistance. Ils ne s’éloignent pas tant que ça de la réalité, Jean Doisy, alias le fureteur, rédacteur en chef du journal à cette époque, ayant été un grand résistant. Le code d’honneur des amis de Spirou repose sur neuf préceptes :
· Un ami de Spirou est franc et droit;
· Un ami de Spirou a du cran, il sait dire oui ou non;
· Un ami de Spirou aime la discipline libre et joyeuse;
· Un ami de Spirou est fidèle à Dieu et à son pays;
· Un ami de Spirou est l’ami de tous mais surtout des faibles;
· Un ami de Spirou sait se rendre utile, se déranger pour les autres, se priver;
· Un ami de Spirou n’a pas peur de se salir les mains, mais veut se garder propre dans ses pensées, ses paroles et ses actes;
· Un ami de Spirou est toujours gai et de bonne humeur, même devant la difficulté;
· Un ami de Spirou s’engage à ne dévoiler à personne la clef du code.

C’est le premier de ces préceptes qui donne son titre à ce premier tome. Chacun des gamins de la bande prend un pseudonyme inspiré d’un héros du journal. Flup devient Spip 02, Georges est Fantasio 24. Tif 38 et Tondu 39 sont les nouveaux noms de Pierrot et Paulo. Armand se nomme Valhardi 17 et la petite Miche est Spirouette 33947. Malgré leur jeune âge, ils vont combattre le nazisme, et l’on sait déjà que deux d’entre eux n’en reviendront pas. La série est l’occasion pour les auteurs de rendre hommage à la grande histoire de la bande dessinée. Ce n’est pas au Moustic Hôtel mais à l’hôtel Velter, du nom du créateur même du groom, que l’on croise le chef portier Entresol ainsi que Spirou lui-même. On aperçoit une brasserie Delporte, des assurances J.G., et on voit Jijé lui-même à la rédaction dans les bureaux de Marcinelle. Clin d’œil à Hergé, l’agent 15 de Quick et Flupke est dans la rue.
Après Irena et en parallèle à Simone, le duo Evrard/Morvan poursuit son devoir de mémoire dans un registre et un style où l’on n’attendait pas autant d’émotion. Incroyablement efficace et passionnant.
Série : Les amis de Spirou
Tome : 1 – Un ami de Spirou est franc et droit…
Genre : Histoire
Scénario : Jean-Denis Morvan
Dessins : David Evrard
Couleurs : BenBK
Éditeur : Dupuis
ISBN : 9791034763184
Nombre de pages : 72
Prix : 14,95 €

L’enfer
Dante sublimé
« -Virgile ? Tu serais Virgile ? Tu es Virgile !
-Mon seul maître et mon inspirateur !
-Mais comment ? Dis-moi ? Est-ce mon rêve qui continue ?
-Nul rêve ici, mon bon Dante, et c’est vrai, Béatrice t’attend. Il t’est enfin permis d’espérer la retrouver. C’est elle qui m’envoie pour te guider jusqu’à elle… »
Dante vient de perdre sa bien-aimée, sa douce Béatrice qui enchantait ses jours. Inconsolable, même à Florence, sa ville qu’il aime tant, l’homme décide de se retirer dans sa villa isolée en pleine campagne. C’est lors d’une promenade en forêt qu’il entend Béatrice l’appeler. Chimère ou réalité ? C’est en tout cas le poète Virgile qu’il aperçoit quelques instants plus tard et qui s’annonce comme un messager de la défunte pour guider le veuf jusqu’à elle. Pour la retrouver, Dante, accompagné par Virgile, va devoir traverser les neuf cercles de l’enfer. Le voyage ne va pas être un long fleuve tranquille. Les amoureux seront-ils réunis ?
L’enfer de Dante, première partie de La Divine Comédie, est l’un des ouvrages réputés les plus complexes à aborder. Long, répétitif, ça n’enlève en rien ses qualités littéraires qui font de l’ouvrage un classique depuis des siècles, l’œuvre datant du début du XIVème siècle. Dante Alighieri se met en scène, le terme en abime serait même plus approprié. Il lui faudra franchir le fleuve Achéron à bord de la barque de Caron, traverser les limbes, affronter un cerbère, côtoyer des âmes perdues, éviter le regard des Méduses et le Minotaure, jusqu’à rencontrer Lucifer, l’ange déchu.

Si en 1490, à la demande de Lorenzo di Medici, c’est Boticelli qui illustra La Divine Comédie avec cent-deux dessins à la pointe de métal, ce sont les frères Gaëtan et Paul Brizzi qui en 2023 proposent leur vision. Après avoir travaillé dans l’animation, entre autres chez Disney, ils se concentrent depuis quelques années sur la bande dessinée et en particulier sur les adaptations littéraires avec par exemple La cavale du Docteur Destouches de Céline, Les contes drolatiques d’Honoré de Balzac ou bien L’automne à Pékin et L’écume des jours de Boris Vian. Avec leur « Enfer », les auteurs rendent abordable un ouvrage écrit en langue vernaculaire il y a sept cents ans. Chaque case semble être une gravure d’époque, tout en gardant les codes et le ton du média bande dessinée, comme si celui-ci était né lui aussi il y a plus d’un demi-millénaire. C’est assez fascinant.
Avec fluidité mais précision, avec romance mais respect, les frères Brizzi contribuent à la pérennité d’une œuvre du patrimoine mondial.
One shot : L’enfer
Genre : Poème épique
Scénario & Dessins : Gaëtan et Paul Brizzi
D’après : Dante
Éditeur : Daniel Maghen
ISBN : 9782356741349
Nombre de pages : 160
Prix : 29 €

Visages – Ceux que nous sommes 1 – Derrière les signes ennemis
« Etre né quelque part, pour celui qui est né, c’est toujours un hasard »
« -Ben moi, mon père, c’était un héros de guerre !
-Le mien, il a tué au moins 1000 français !
-Ben le mien, il est même pas mort… Et il va bientôt venir me chercher avec ma mère !
(…)
-Bonjour, ma sœur… Pourquoi personne ne veut me parler ? »
1927. Dans un orphelinat catholique du Sud de l’Allemagne, Georg, un jeune garçon est bien esseulé. Personne ne veut lui parler, aucun de ses camarades. Lorsqu’il en demande la raison à une religieuse de l’institution, il n’a pour réponse qu’une gifle et une insulte : « Bastard !!! ». La nuit suivante, il entre par effraction dans le bureau où sont rangés les dossiers de chacun des orphelins pour consulter le sien. Il en a la confirmation. Il est un bâtard, comme on le disait vulgairement. Son père est français, sa mère est allemande. Il subtilise un médaillon dans lequel il y a une photo de chacun d’entre eux. Il n’a pas l’intention d’attendre qu’ils viennent le chercher. Georg s’enfuit. Il compte les retrouver. Dans quelques années, il sera sur le front. Lors de la guerre précédente, ce sont ses parents qui y étaient, lui, poilu dans l’armée française, elle, infirmière allemande. Comment se sont-ils rencontrés ? Comment est née leur histoire d’amour ?
« L’Histoire est le visage de l’aventure humaine. » Si tout un chacun tente d’écrire l’histoire de sa vie, le XXème siècle l’a fait à la place de millions d’hommes et de femmes. De 1900 à 1954, les auteurs de la série concept Visages – Ceux que nous sommes racontent sur trois générations la destinée de cinq membres d’une même famille. Les scénaristes Nathalie Ponsard-Gutknecht et Miceal Beausang-O’Griafa ne choisissent pas une narration linéaire mais passent d’une époque à l’autre sans jamais perdre le lecteur. On commence en 1927, on poursuit en 1940, on continue en 1914 pour aller jusqu’en 1918. Les auteurs nous plongent au cœur de la Grande Guerre avec pour toile de fond l’histoire d’amour entre Lieselotte Ruf et Louis Kerbraz.
Toutes les histoires sont des histoires d’amour, même les histoires de guerre. Visages-Ceux que nous sommes, c’est tout cela tout en allant bien plus loin. Une citation de Gauguin, titre de l’un de ses tableaux les plus fameux, l’annonce en préambule : « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ». Georg cherche ses origines, qui il est et la façon dont il peut, dont il doit prendre en mains son destin avec le poids de sa généalogie. Mais si c’est bien lui qui lance la saga, ce sont bel et bien ses parents qui sont au cœur de ce premier épisode. Leur rencontre était si improbable qu’elle s’est produite. Et, comme pour faire un pied de nez à Gauguin, c’est l’art qui les réunit. Si elle est photographe, lui est un dessinateur mais aussi un artisan qui transforme les douilles en bijoux. Les auteurs posent également la question de la croyance et de la religion, sans en parler, en organisant la rencontre entre Lieselotte et Louis dans une église à moitié détruite. Quand l’on fait face à un drame, les rapports avec le divin s’en trouvent bouleversés, dans un sens comme dans l’autre.

Le dessinateur Aurélien Morinière n’avait rien publié depuis près de trois ans avec le thriller L’homme bouc. Et pour cause. Il était occupé sur cette nouvelle série dont les quatre volumes sont annoncés pour cette année. Il fallait donc prendre un peu d’avance. Morinière dépeint la violence des sentiments avec force et celle de la guerre avec une cruauté froide. Il démontre que quelque soit leur camp les soldats n’avaient pas d’autre choix que de tuer, soit pour survivre, soit parce qu’ils étaient emportés par la meute. Ses grandes cases sont majestueuses, que ce soit ces soldats marchant dans la forêt des Ardennes, ou bien le lieu de culte dans lequel se fait la rencontre qui scellera le destin du futur Georg.
Réalisé par les scénaristes de la série, un cahier documentaire complète l’album. Il y est question du Hartmannswillerkopf, éperon rocheux sur lequel ont péri ou ont été blessés 30000 soldats, de la Prusse, de l’Allemagne, de Versailles et de son traité, du vote des femmes en Allemagne, dès 1919, de l’artisanat des tranchées, dont il est fortement question dans l’album. On y parle également de la bataille de l’Yser, de celle de Dixmude et du 87ème régiment de fusiliers marins bretons. Tout cela serait incomplet sans l’exposition Visages. ceux que nous sommes au Goethe-Institut de Paris jusqu’au 11 mars. Au cours d’un parcours pensé pour les scolaires et pour le tout public, les visiteurs et visiteuses découvriront la saga tourmentée de cette famille déchirée sur trois générations. Sur un fond historique authentique, de 1900 à 1954, ils suivront la destinée de ces quatre personnages de nationalités et de générations différentes. Des visites pour groupes scolaires, de durées flexibles, sont également possibles. L’exposition voyagera ensuite dans les différents Goethe-Instituts de France.
Le vingtième siècle est certainement l’un des plus sombres de l’Histoire de l’humanité. « D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ». Accompagnons Georg pour trouver la réponse à ces questions. Si tant est qu’il y en ait une.
Déjà trois albums de prévus sur les quatre sont parus en 2023. Le final est pour janvier.
Série : Visages – Ceux que nous sommes
Tome : 1 – Derrière les signes ennemis
Genre : Histoire
Scénario : Nathalie Ponsard-Gutknecht & Miceal Beausang-O’Griafa
Dessins & Couleurs : Aurélien Morinière
Éditeur : Glénat
ISBN : 9782344022924
Nombre de pages : 56
Prix : 14,95 €
Série : Visages – Ceux que nous sommes
Tome : 2 – La pratique Andromaque
Genre : Histoire
Scénario : Nathalie Ponsard-Gutknecht & Miceal Beausang-O’Griafa
Dessins & Couleurs : Aurélien Morinière
Éditeur : Glénat
ISBN : 9782344032886
Nombre de pages : 64
Prix : 14,95 €
Série : Visages – Ceux que nous sommes
Tome : 3 – Vers la fontaine ardente
Genre : Histoire
Scénario : Nathalie Ponsard-Gutknecht & Miceal Beausang-O’Griafa
Dessins & Couleurs : Aurélien Morinière
Éditeur : Glénat
ISBN : 9782344032893
Nombre de pages : 56
Prix : 15,50 €

Mademoiselle Sophie, ou la fable du lion et de l’hippopotame
Une maîtresse pas comme les autres
« -Hé hé !
-Je crois que le cours est pas près de commencer les gars.
-Hi hi.
-Hé patate !
-Bouboule !
-Grosse vache !
-T’aurais pas des punaises ? Pour mettre sur sa chaise…
-Qu’elle éclate ! »
Romain, 11 ans, bientôt 12, ne supporte plus que ses camarades de classe se moquent de la maîtresse. Mademoiselle Sophie a toujours été grosse, mais depuis les vacances, en quinze jours, elle a énormément pris. Elle s’essouffle en montant les escaliers et doit subir les lazzis et quolibets des élèves qui se cachent à peine pour se moquer d’elle. Elle est si gentille. Jamais elle ne crie sur quelqu’un qui ne comprend pas. Elle aime tous les élèves. Elle a toujours pris la défense des opprimés. Aujourd’hui, elle a besoin de Romain. Le garçon voudrait bien, tel un super héros, rabattre le caquet des méchants, mais la dure réalité le rappelle à l’ordre. Romain se confie à sa grande sœur. Pourquoi Mademoiselle Sophie s’enferme à clef le midi dans sa classe ? Romain va n’avoir désormais qu’un seul but : découvrir les nuances derrière les apparences. Il veut comprendre qui elle est vraiment et savoir ce qui lui arrive.
La fable du lion et de l’hippopotame, c’est l’histoire d’un petit garçon qui devient adolescent et d’une dame obèse, mal dans sa peau, mal dans son âme, parce que son corps est devenu un fardeau. La fable du lion et de l’hippopotame, c’est l’histoire d’un petit garçon qui met un pied, puis l’autre, dans un monde d’adulte et qui essaye de comprendre comment ça se passe chez eux. La fable du lion et de l’hippopotame, c’est une histoire d’amour, ou plutôt d’amours, avec un « s » : l’amour que l’on croît impossible parce qu’on ne se voit pas comme les autres nous voient, l’amour que l’on voit passer devant soi sans qu’il ne s’arrête et qui se met en place entre deux personnes, mais pas pour soi, l’amour d’un élève pour sa maîtresse envers qui il est si reconnaissant qu’il est hors de question pour lui qu’il la laisse se détruire.

Vincent Zabus est le Ionesco de la bande dessinée. Passionné de théâtre, le scénariste livre une histoire qui n’aurait peut-être pas existé sous cette forme si Rhinocéros n’était pas passé par là. Zabus ne pousse pas l’absurde aussi loin que le maître du genre mais joue comme lui avec ce parallèle entre l’espèce humaine et le monde animal. Romain préfèrerait rester petit à jamais, ce serait rassurant, rassurant et terriblement ennuyeux. C’est impossible. Le lionceau doit laisser sa crinière pousser pour devenir un lion. Rhinocéros était une satire sur la montée des totalitarismes et les dangers du conformisme avec la perte de la pensée individuelle. Les élèves de la classe de Mademoiselle Sophie ressemblent à cette meute qui avance d’un même pas et s’entraîne dans une méchanceté dangereuse car globale.
Après Les ombres et Incroyable !, Hippolyte retrouve son complice Zabus pour un conte merveilleux, qui arrache des larmes, ouvre les cœurs et réchauffe les âmes. Hippolyte ne met que les traits nécessaires à l’émotion dans un graphisme à la Sempé qui aurait rencontré Quentin Blake.
La Fontaine a écrit les plus belles fables. Il en manquait une, celle d’un lion et d’un hippopotame. Zabus et Hippolyte l’ont rédigé et dessiné, avec la même force et la même grâce que leur prédécesseur. Indispensable.
One shot : Mademoiselle Sophie, ou la fable du lion et de l’hippopotame
Genre : Emotion
Scénario : Vincent Zabus
Dessins & Couleurs : Hippolyte
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782205089851
Nombre de pages : 168
Prix : 23 €

Le fils de Taïwan 1 – Le garçon qui aimait lire
Des libellules rouges dans un ciel embrasé
« -Maman !
-Ça va ! On a eu de la chance ! Le petit et moi, on a failli y passer.
-Kunlin, ça va ?
-Oui, tout va bien. »
1935. Kunlin Tsai a quatre ans et demi. Après un séisme, il retrouve sa famille saine et sauve devant les décombres de leur maison. Les districts Houli et Qingshui ont été ravagés. Taïwan compte 15 000 victimes et 60 000 habitations détruites. A la fin de l’année, la maison des Tsai est reconstruite. Kunlin va grandir, aller à l’école, chanter, écrire. La bibliothèque stimule sa curiosité. Lors d’un défilé des lanternes, il apprend que Nankin, capitale chinoise de la République, est tombée aux mains des japonais. C’est une victoire, mais la guerre s’approche peu à peu. 1941, en CM2, Kunlin, brillant élève, prépare son entrée au collège. Il veut devenir professeur.
Yu Pei-Yun etZhou Jian-Xin racontent la vie d’un jeune taïwanais, depuis sa prime enfance. Kunlin est vaillant, persévérant. Au lycée, il apprendra à être engagé et consciencieux dans l’effort, à lire et étudier après le travail et à persévérer dans les études malgré les besognes pénibles. Le lycée est patriotique et militaire. L’éducation est stricte.

© Pei-Yun, Jian-Xin – Kana 2023
Yu Pei-Yun a rencontré Kunlin Tsai en 2016. Il avait 86 ans. Victime de la Terreur blanche dans les années 50, le vieil homme raconte l’oppression politique sous laquelle il a vécu. La scénariste a alors l’idée de raconter sa vie dans un manhua en quatre épisodes, dont voici le premier. Le dessinateur Zhou Jian-Xin adopte quatre styles graphiques différents pour recréer les atmosphères différentes de chacune des périodes d’une existence meurtrie. Ici, avec un trait crayonné, rond, avec comme couleurs seules quelques touches de rose, on est encore dans l’insouciance de l’enfance et la concentration dans les études. Kunlin Tsai est dans son cocon de livres qu’il adore. Derrière ses lunettes, sans pupille, il se concentre sur ses études. La scène finale marque un tournant annonçant des lendemains moins enchanteurs.
Manhua documentaire décrivant le développement historique d’une île du Pacifique, le fils de Taïwan narre la vie d’une victime politique. C’est parti pour quatre-vingt-dix ans d’histoire et pour l’un des événements de la bande dessinée asiatique de l’année en Europe.
Déjà trois albums de prévus sur les quatre sont parus en 2023. Le final est pour janvier.
Série : Le fils de Taïwan
Tome : 1 – Le garçon qui aimait lire
Genre : Histoire
Scénario : Yu Pei-Yun
Dessins & Couleurs : Zhou Jian-Xin
Éditeur : Kana
Collection : Made in
ISBN : 9782505115861
Nombre de pages : 170
Prix : 18,50 €
Série : Le fils de Taïwan
Tomes : 2 & 3
Genre : Histoire
Scénario : Yu Pei-Yun
Dessins & Couleurs : Zhou Jian-Xin
Éditeur : Kana
Collection : Made in
ISBN : 9782505115878 / 9782505115885
Nombre de pages : 192
Prix : 18,50 €

Armelle & Mirko 1 – L’étincelle
Le temps des fables existe encore
« -Armelle ! Réveille-toi !
-Grandes sœurs ? C’est vous ?
-Ha ha ha ha ha ha
-Thérèse ? Sylvie ? Sortez-moi de là, j’ai peur ! »
Armelle est une tortue froussarde. Depuis que, petite, ses sœurs l’ont enfermée sous un seau pendant qu’elle faisait la sieste, elle a peur du noir. Les heures sombres sont pour elles cruelles. Armelle souffre d’achluophobie. Elle a une peur panique de se retrouver privée de lumière. Elle est peureuse et peu heureuse. Elle lutte pour ne pas s’endormir. Chaque bruit de la forêt est un cauchemar qui fait un nœud dans ses entrailles. Et le jour, elle s’ennuie, quelque soit la saison. En plus de ça, lorsqu’elle a une frayeur, elle ne peut même pas se recroqueviller dans sa carapace puisqu’il y fait tout noir. Un beau jour pourtant, Armelle va rencontrer Mirko, un petit être volant et fort élégant, avec de belles antennes courbées qui font le tour de nos cœurs, une tête rouge prompte à chasser les idées noires, de longues ailes pour les courtes distances, et portant sur son dos l’instrument de la mélodie du bonheur. Mirko réussira-t-il à apaiser les souffrances d’Armelle ?
On avait l’habitude de voir Loïc Clément écrire pour Anne Montel. Les complices se sont ici associés pour offrir une magnifique histoire aux pinceaux merveilleux de Julien Arnal. Les auteurs du temps des mitaines lui ont concocté une fable, pas aux accents politiques comme celles de La Fontaine, mais emplie d’émotion, une histoire qui aurait très bien pu intégrer la collection des Complaintes des cœurs brisés, scénarisées par le même Loïc Clément. Deux êtres qui auraient pu ne jamais se rencontrer vont nouer une amitié à l’abri de toutes épreuves. Chaque planche de Julien Arnal est un petit tableau. De saison en saison, il nous invite dans une forêt aux milles couleurs du temps. Et lorsque vous aurez terminé l’histoire, regardez en détail les pages de garde, différentes au début et à la fin. Ne les détaillez pas avant. Vous comprendrez pourquoi.

En filigrane de cette fable bucolique, les auteurs traitent d’un sujet complexe, qui touche de plus en plus de monde, de plus en plus de jeunes, avec des éléments déclencheurs qui peuvent être divers et variés. Ce mot est un gros mot, un mot que l’on n’ose pas prononcer mais qui doit l’être car il n’y a aucune raison de s’en cacher, et il n’y a pas à en avoir honte. Ce mot qui touche Armelle parce qu’il ne se voit pas et que c’est pour cela que souvent il n’est pas compris par les autres, ce mot, ce mal des maux, c’est la dépression. Alors que de nombreux médecins sont infoutus de soigner ce cancer de l’âme, Loïc Clément et Anne Montel apportent un formidable message d’espoir, une lumière vers la guérison, une étincelle. Si vous avez donc chez vous une tortue comme Armelle, lisez avec elle cette histoire, et faites-lui comprendre qu’il faut être patiente et attendre l’arrivée de Mirko, parce qu’il y a toujours un Mirko qui va venir, c’est forcé, c’est comme ça. Ça peut prendre du temps mais il va arriver.
Je n’ai plus de tortue chez moi parce que je n’ai pas eu ce livre entre les mains assez tôt. Alors n’attendez pas. Pour ceux non concernés par le sujet sous-jacent, ce conte est à mettre entre toutes les mains, dès le plus jeune âge. Le talent des grands auteurs est de proposer différents niveaux de lecture et c’est le cas ici. Armelle et Mirko est d’une beauté sublime qui aide à faire briller les étoiles, sur la Terre comme au ciel.
Armelle & Mirko est une trilogie aux histoires indépendantes dont deux albums sont déjà parus cette année.
Série : Armelle & Mirko
Tome : 1 – L’étincelle
Genre : Fable poétique
Scénario : Loïc Clément & Anne Montel
Dessins & Couleurs : Julien Arnal
Éditeur : Delcourt
ISBN : 9782413045045
Nombre de pages : 32
Prix : 15,95 €
Série : Armelle & Mirko
Tome : 2 – Le voyage
Genre : Fable poétique
Idée & Histoire originale : Anne Montel
Scénario : Loïc Clément
Dessins & Couleurs : Julien Arnal
Éditeur : Delcourt
ISBN : 9782413075578
Nombre de pages : 32
Prix : 15,95 €

Ginette Kolinka Récit d’une rescapée d’Auschwitz-Birkenau
Voyage au bout de l’enfer
« -Qu’est-ce que… Que se passe-t-il ?
-On vient chercher les juifs.
-Les juifs…? Ah ça non monsieur ! Nous ne sommes pas juifs ! Nous sommes orthodoxes ! Vous faites erreur ! Regardez, mon père a un certificat, il peut vous le montrer !
-Vous avez été dénoncés comme juifs! »
En rentrant chez elle ce jour de 1944, Ginette Cherkasky ne savait pas qu’elle allait faire un voyage qui allait bouleverser sa vie. Alors qu’ils avaient fui Paris pour se rendre en zone libre à Avignon sous un faux nom, les Cherkasky sont rattrapés par leurs origines. Ils sont juifs. Ils ont été dénoncés. En ce début d’après-midi, par chance, si on peut appeler ça comme ça, toute la famille n’est pas à l’appartement. Seuls s’y trouvent son père, son petit-frère, son neveu et elle, Ginette, 19 ans, qui arrive sur les lieux en pleine rafle. Ses sœurs et sa mère ne sont pas présentes et échappent à l’arrestation. Parqués pire que du bétail dans un train pour l’Allemagne, les voici partis, direction le camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau. Pour bon nombre de voyageurs, il n’y aura pas de retour.
Le nom Kolinka vous dit peut-être quelque chose. Richard Kolinka était l’un des quatre membres du groupe de rock Téléphone. Ce que l’on sait moins, ou que l’on savait moins, c’est que sa mère Ginette est une rescapée de l’enfer. Elle l’a longtemps enfoui en elle, par résilience certainement, jusqu’au jour où elle a été convaincue qu’il fallait qu’elle témoigne. Commença alors un périple dans les collèges et les lycées afin de raconter, raconter l’horreur, exposer l’enfer, pour ne pas oublier, pour faire que l’Histoire ne se répète pas. Son histoire à elle, elle l’a subie. Elle a reçu les coups terribles des tortionnaires sur son corps. Elle a senti les odeurs pestilentielles des cadavres. Ginette Cherkasky, matricule 78599, a été déporté de mars 1944 à juin 1945 et en est revenue décharnée, détruite physiquement et moralement, mais vivante. Quand on pense que son cauchemar a débuté cinq mois seulement avant la libération de Paris, et qu’il a continué pendant encore dix mois après, c’est à peine croyable.

Ginette est aujourd’hui l’une des dernières survivantes de la Shoah. Lorsqu’Aurélie D’Hondt l’entend témoigner devant sa promotion de l’ISEN, une école d’ingénierie du numérique, elle a le même âge que Ginette lors de son arrestation. En parallèle à ses études, l’autrice décide de raconter en images, avec son accord, la vie de la rescapée. Dans un graphisme à la Marjane Satrapi, Aurélie D’Hondt a tenu à rester la plus fidèle possible à la vie de Ginette. Les personnages sont dans un trait rond, presqu’enfantin, comme ceux de David Evrard sur Irena et Simone. On ressent toute la naïveté de Ginette qui se transforme en dureté au fur et à mesure qu’elle se construit une carapace indispensable à sa survie. L’album est traité dans un noir et blanc plus noir que blanc dans les chapitres allant de la déportation jusqu’au retour des camps. La dessinatrice arrache des larmes, des larmes de faux espoir quand le wagon s’ouvre et que les martyrs sentent le vent frais, des larmes d’une émotion incroyable lorsque Ginette serre sa mère dans ses bras à son retour à Paris.
On aurait aimé ne jamais avoir eu à lire des livres comme celui-ci. Ça aurait voulu dire que rien de cela n’était arrivé. Mais, pour paraphraser Ginette Kolinka, « Voilà où mène la haine ! ». Aurélie D’Hondt apporte sa pierre à l’édifice du devoir de mémoire avec un album bouleversant, tant sur le fond que dans la forme.
One shot : Ginette Kolinka Récit d’une rescapée d’Auschwitz-Birkenau
Genre : Biopic
Scénario & Dessin : Aurore D’Hondt
Éditeur : Des ronds dans l’O
ISBN : 9782374181325
Nombre de pages : 240
Prix : 25 €

Les vies de Charlie
La mort vous va si bien
« – Charlie, Recycle & Ternel, vous mourez, nous recyclons, j’écoute ? Oui… Oui, tout à fait, madame. Nous recyclons les défunts. Le plus souvent, nous le transformons en compost pour y planter un arbre… ou un bonsaï si vous êtes en appartement… Voilà… Quelque chose de symbolique pour donner une seconde vie à votre mari. Comment s’appelait-il ? »
Charlie, jeune trentenaire citadin, travaille chez Recycle & Ternel. « Vous mourrez, nous recyclons ! » Toute la journée, derrière son téléphone, l’employé explique aux clients endeuillés la meilleure possibilité pour recycler le cadavre de leur proche qui vient de les quitter. Madame Wilmart, sa chef de service, a l’habitude de lui amener des dossiers difficiles pour des clients qui ont du mal à faire leur deuil et qui demanderaient à Charlie tout son savoir-faire et toute son empathie. Un jour, Charlie reçoit le coup de fil d’un père veuf et de son fils. Ce dernier n’a pas besoin de savoir ce que va devenir le corps de sa maman. Ce qui l’importe, c’est ce qu’il va advenir de son âme. A son grand désespoir, Charlie n’a pas la réponse. L’employé est désemparé mais il va tout faire pour la trouver.
Il y a des histoires à suspens et des comédies drôles. Il y a des aventures exotiques et des drames contemporains. Il y a une foultitude de genres en bande dessinée, dont les récits d’émotion. Parmi ces derniers, certains sont tout aussi émouvant qu’ils sont des fell good stories. Les vies de Charlie entre clairement dans cette catégorie. Kid Toussaint a déjà prouvé ce qu’il était capable de faire dans le domaine de l’émotion avec Elles, où il frappait les esprits. Avec ce one shot, il frappe les cœurs. Nul ne peut rester insensible à cette fable sur le devenir des âmes. Le scénariste apporte au héros et aux lecteurs une réponse, avec philosophie et sensibilité.

Aurélie Guarino porte ce récit avec toute la grâce de son trait. La dessinatrice est dans la catégorie d’un Michel Colline, d’un Hippolyte ou d’une Valérie Vernay. La symbiose avec Kid Toussaint est incroyable. Dans cette histoire, il fallait dessiner des sentiments, des émotions, des âmes. Tout cela transparaît comme par magie. Il est des fusions inexplicables qui marchent plus que l’on ne pourrait imaginer. Peut-être est-ce à cause de la sensibilité du sujet, le résultat est en tous cas incroyable.
Ces vies de Charlie ne peuvent à présent qu’influer sur les nôtres. Rien ne se finit, surtout pas les histoires comme celle-ci. Merveilleux.
One shot : Les vies de Charlie
Genre : Emotion
Scénario : Kid Toussaint
Dessins & Couleurs : Aurélie Guarino
Éditeur : Dupuis
ISBN : 9791034761234
Nombre de pages : 128
Prix : 26 €

Long way down
Ascenseur pour l’échafaud
« Tout le monde a couru, a esquivé, s’est caché, s’est abrité. C’que nous avions tous été entraînés à faire. On a mis face contre terre et prié pour que la détonation, suivie par le sifflement de la balle, ne nous fauche pas. Tony et moi on a attendu comme d’habitude la fin du vacarme, avant d’ouvrir les yeux et relever la tête pour s’amuser à compter les corps. Cette fois il n’y en avait qu’un. Shawn. »
L’Amérique, le pays des armes et de l’auto-justice. Dans un quartier de banlieue, Shawn revient d’une pharmacie où il est allé chercher un médicament pour sa mère. Il est avec sa copine. Tony et William jouent au basket, se rêvant déjà professionnels. BAM ! Un coup de feu résonne. Shawn a pris une balle. Sa mère accourt mais il est trop tard. Le même sang que celui qui coule dans ses veines se répand sur l’asphalte. La police ne tarde pas à débarquer sur la scène du crime, mais personne n’a rien vu. William, quinze ans, Will pour ceux qui le connaissent, est le frère de Shawn. Du haut de son jeune âge, il va appliquer les trois lois du quartier : ne pas pleurer, jamais, quoiqu’il arrive, ne pas balancer, jamais, quoiqu’il arrive, se venger. « Si quelqu’un que tu aimes se fait tuer, trouve la personne qui l’a tué et bute-la. »
Pour appliquer ce troisième principe, Will va devoir rentrer chez lui pour prendre un calibre, un pétard, un gun,… On aime toujours plus les gens quand ils sont morts. Pour Will, l’assassin, c’est Carlson Riggs, un ancien ami de Shawn. Will a grandi en regardant les séries policières. Il trouvait toujours le tueur avant les flics. Avant aujourd’hui, il n’avait jamais tenu de flingue. Will décide d’attendre le matin pour se rendre devant l’immeuble de Riggs. Il sort de l’appartement familial, l’arme à la ceinture sous son tee-shirt et prend l’ascenseur pour descendre les étages. A chaque étage, quelqu’un va monter dans l’ascenseur, comme d’étranges fantômes qui viennent discuter avec Will.

Long way down est un roman américain de Jason Reynolds publié en 2017. L’auteur a eu lui-même un ami qui s’est fait assassiner alors qu’il avait dix-neuf ans. Il a travaillé dans centres de détention pour mineurs. Il invite ici à une réflexion sur la vengeance, sa légitimité, son utilité et amène à se questionner sur le port d’armes dans une Amérique aux multiples blessures. Danica Novgorodoff met l’histoire en image dans une aquarelle sombre et un découpage magistral. La violence s’incruste dans les cases par des procédés originaux. Les onomatopées et les cris sont partie prenante de scènes de haute tension. Novgorodoff multiplie les procédés graphiques originaux amenant de surprises en surprises.
Grâce à un scénario incroyable et imprévisible dans un quasi-huis clos, une mise en scène sans fausse note et un graphisme aux techniques variées, Long way down est un thriller aussi poignant que dramatique. C’est le choc Comics venu de l’autre côté de l’Atlantique de l’année, et peut-être même de plusieurs années. Indispensable.
One shot : Long way down
Genre : Thriller/Polar
Scénario, Dessins & Couleurs : Danica Novgorodoff
D’après : Jason Reynolds
Éditeur : Milan
ISBN : 9782408031404
Nombre de pages : 208
Prix : 16,90 €

Le prof qui a sauvé sa vie
Pour toi, public !
« -Il est pas mal le nouveau prof !
-Il a les cheveux vachement longs !
-Ouais, mais il n’a pas l’air marrant !!!
-C’est quoi ces lunettes ?
-Et le foulard !!!
-Il se la pète non ?
-Bon, on avance, et on monte l’escalier !!! »
1978. Albert Algoud, tout jeune professeur de français, vient d’être nommé dans le collège d’une riante bourgade savoyarde. Il est accueilli par le principal, surnommé « le hareng » à cause de sa ressemblance avec Acidenitrix, dans Le grand fossé d’Astérix. La salle des profs est remplie. Il y a entre autres Fanfoué, sympathique professeur de lettres, Mademoiselle Tambet, qui vouvoie les élèves, comme les chiens, parce que ça les calme, Monsieur Z., prof de techno porté sur la boutanche, et bien d’autres. Les élèves sont tout autant divers et variés, comme Christine, brillante et spirituelle qui entre et sort par la fenêtre, Etienne, boulimique de bonbons au langage ordurier, ou encore Joël, un autiste capable de donner le jour de la semaine correspondant à n’importe quelle date. Ah, oui, n’oublions pas Patrick, le comique de la classe aux lunettes de taupe. Albert Algoud va tenter de passionner ces chères têtes blondes à la littérature et au cinéma, à David Lynch et à Tintin, des choses pas conventionnelles dans ce monde ultra rigide de l’Education Nationale. Cela ne va pas être sans conséquence sur le jeune prof qui, parallèlement, va se découvrir une passion nouvelle pour un média qui vient d’être libéré en ce début des années 80 : la radio.
Albert Algoud est un humoriste bien connu. Membre éminent de la famille Canal + à la grande époque Nulle part ailleurs, il y a créé des personnages emblématiques comme le Général Ganache, le Père Albert ou François François. Il est également reconnu pour être un tintinophile avéré. Il a publié plusieurs ouvrages sur le sujet dont une fausse biographie de la Castafiore ou le fameux Haddock Illustré. Mais avant tout cela, il a été prof. C’est ce qu’il nous raconte dans cet album dessiné par Florence Cestac. Les deux compères se connaissent depuis bien longtemps. Ils font tous les deux partis du jury du Prix Wolinski, et Cestac a invité Algoud dans celui du Festival d’Angoulême lorsqu’elle en a été présidente.

Si des profs comme ça, il y en avait plus l’hyper-rigide Education Nationale aurait une autre face et les élèves auraient de meilleurs résultats. En tant que prof, Albert aiguisait les curiosités, menait ses apprentissages par la notion de plaisir. Quand on est heureux et curieux, on a envie d’apprendre et on se cultive. Ça, ça devrait être au premier plan des programmes. Pour l’instant, personne en haut lieu ne l’a compris et les rares enseignants qui adoptent le précepte Algoud ne doivent pas le crier sur les toits sous peine de s’attirer les foudres de leurs supérieurs. Bref, Albert Algoud était trop bien pour ce métier. L’arrivée des radios libres grâce à François Mitterrand va changer sa vie. Puis, c’est Hara-Kiri, la rencontre avec Georges Bernier, plus connu sous le nom du professeur Choron, puis celle avec Karl Zéro, Antoine de Caunes et l’aventure Canal.
Albert Algoud a sauvé sa vie. Si cet album permet ne serait-ce qu’à un seul prof de sauver la sienne en faisant de sa passion sa priorité, le pari sera gagné. Véridique, émouvant et drôle. N’est-ce pas, Pintimbert ?
One shot : Le prof qui a sauvé sa vie
Genre : Biopic
Scénario : Albert Algoud
Dessins & Couleurs : Florence Cestac
Éditeur : Dargaud
ISBN : 9782205206197
Nombre de pages : 64
Prix : 15 €

La demi-double femme
La crédulité des autres fait le pouvoir du roi
« -Petite mère ! Viens-nous en aide ! Je bûcheronne dans la région depuis un an. Ma maison est à l’orée de…
-Je sais où est ta cahute, vieil homme.
-Ma fille, Selena, a disparu dans la forêt profonde. Nous connaissons encore trop mal les dangers sibériens. Je crains le pire. »
1899, Radimir Andréiévitch est désespéré. Sa fille Selena a disparu dans la forêt sibérienne. Il s’en inquiète auprès d’Aza Perfionova, celle que l’on appelle la demi-double femme et qui dirige une communauté. Elle règne sur le commerce de la fourrure. Mutilée et obèse, elle se déplace sur un rustique fauteuil roulant. Le vieil homme est près à lui payer les 241 roubles qu’il lui reste de la vente de sa masure en Ukraine pour qu’elle la lui ramène. Dans un premier temps, Aza refuse de l’aider. Grâce à Ivan, un jeune villageois, le père malheureux trouve de l’aide en Jason, plus chasseur que trappeur et rival d’Aza. Piquée au vif, la « patronne » décide de leur filer le train.
C’est dans un hiver sibérien rigoureux que nous invite Grégoire Bonne, auteur complet de ce western pas comme les autres. Ce serait plutôt un eastern. On découvre dans une première partie un groupe de trappeurs assistants à un spectacle de marionnettes. En grands enfants, ils rient de la marionnettiste qui n’est autre qu’Aza et qui cherche comme chaque année une nouvelle façon de célébrer le début de la saison. Dans trois jours, elle va emmener les hommes dans le Nord, pour chasser la zibeline, dont elle exhibe une dépouille. Les mois qui viennent s’annoncent durs et gelés mais la qualité de la fourrure de la bête laisse augurer d’une chasse exceptionnelle. Le jeune Ivan rêve de partir avec eux, mais Aza, qui a la charge de l’orphelin, lui confie la responsabilité de l’hôtel en son absence. Il faut bien s’occuper de Jason, l’étranger qui vient d’arriver, et qui se vante d’avoir attrapé toutes les bêtes poilues d’Amérique et vu toutes les merveilles de Chine et d’Europe. Il est venu traquer la zibeline.

Aza Perfionova est un personnage atypique, le genre d’héroïne, ou d’anti-héroïne, qu’on n’avait jamais vu. C’est une mère pour tous les trappeurs, mais tellement étouffante, tellement dirigiste, qu’elle les empêche de grandir. « Quel genre de mère empêche ses enfants de grandir ? » déclare Jason, qui va se positionner en rival, en ralliant Ivan à son camp. Alors qu’Aza adopte le fusil, Jason apporte ses pièges mécaniques en acier qui ont fait leurs preuves sur les castors canadiens, préservant ainsi la fourrure. Alors, pourquoi pas sur les zibelines ? Grégoire Bonne oppose l’expérience, la connaissance, le respect et l’observation de la nature de l’un à l’arrogance, la suffisance et le progrès technologique de l’autre. Le coup de génie du scénario est de faire s’opposer Jason et Aza sur un autre terrain que celui si évident de la chasse, à savoir la recherche de la fameuse Selena. Graphiquement, l’auteur nous offre de splendides cases enneigées, à la manière d’Hermann, chose que l’on n’avait peut-être pas vu aussi bien depuis Un hiver de clown, épisode de Jérémiah. Il utilise malignement le découpage dans les avancées en forêt.
Des personnages inhabituels dans un décor fascinant. Il y a encore tant à exploiter. Grégoire Bonne ne peut pas ne pas proposer un deuxième one shot dans cet univers. La demi-double femme est une double surprise complète, scénaristique et graphique, de cette année, un album qui fera référence.
One shot : La demi-double femme
Genre : Histoire
Scénario, Dessins & Couleurs : Grégoire Bonne
Éditeur : Mosquito
ISBN : 9782493343161
Nombre de pages : 72
Prix : 18 €

La course du siècle
Marathon 1904
« -On fait démarrer le marathon en début d’après-midi !
-Aux heures les plus chaudes ? Brillante idée !
-On devrait facilement atteindre les 32 degrés !
-Et un 30 août, le taux d’humidité sera certainement très élevé ! »
30 août 1904, Saint-Louis, Etats-Unis. Le marathon des Jeux Olympiques va se tenir. Ils sont trente-deux coureurs sur la ligne de départ. Il y a des sportifs, des iconoclastes, des participants auxquels on ne s’attendait pas. Tous ont pour point commun d’être des coureurs invétérés. Les américains ont une revanche à prendre. Quelques années plus tôt, à Paris, la France a gagné deux fois plus de médailles que les Etats-Unis. Pour eux, ces maudits européens ont triché. Cette fois, l’Amérique a bien l’intention d’organiser des jeux modernes avec des infrastructures innovantes et des épreuves taillées sur mesure pour des surhommes qui se surpasseront et atteindront des sommets, bref, pour les jeunes sportifs américains.
Parmi les inscrits, on trouve Andarin Carvajal, l’homme qui voulait faire la sieste, facteur à Cuba. Il y a Thomas Hicks, l’homme qui ne voulait plus être deuxième, compétiteur jusqu’au bout des ongles. Sont également au départ Len Taunyane et Jan Mashiani, deux afro-américains qui combattaient l’un contre l’autre lors de la seconde guerre des Boers en 1901 dans le Transvaal. Frederick Lorz, quant à lui, est un coureur… de jupons, habitué à échapper aux maris jaloux. Il y a même un français, Albert Corey, qui n’a rien à faire là vu que la France n’a pas envoyé de délégation. Ils diront donc qu’il est américain. La course va délibérément démarrer sous une chaleur écrasante. Les organisateurs en ont fait un laboratoire à taille humaine pour tester sur les engagés les effets de la déshydratation sur des sportifs de différentes « races ». Les athlètes n’étaient rien moins que des cobayes. Terrain vallonné et poussiéreux, un seul point de ravitaillement en eau, dopage organisé : la course du siècle restera dans les annales.

Kid Toussaint écrit une BD presque-reportage qui a tout d’une comédie dramatique. Il la met en scène avec l’efficacité qu’on lui connaît. Cette course hallucinante a bel et bien eu lieu, tellement improbable qu’il était impossible de l’inventer. Elle restera mythique non seulement pour ses conditions d’organisation, mais également pour les personnalités de quelques-uns de ses participants. En fin d’album, un cahier documentaire ancre le récit dans son contexte historique. Le marathon le plus dangereux de l’histoire s’est tenu là, à Saint-Louis et dans ses alentours, sur les rives du Mississippi. Qui de mieux qu’un dessinateur au trait hyper-dynamique pour mettre en scène une telle compétition ? José-Luis Munuera était l’homme providentiel pour la dessiner dans la poussière des couleurs impeccables de Sedyas.
La course du siècle est l’un des événements de cette fin d’année, un album surprenant, étonnant, et pourtant basé sur des faits incroyablement réels. Bref, un indispensable. S’il vous reste une idée de cadeau à trouver, elle est là !
One shot : La course du siècle
Genre : Comédie dramatique
Dessins : José-Luis Munuera
Scénario : Kid Toussaint
Couleurs : Sedyas
Éditeur : Le Lombard
ISBN : 9782808205825
Nombre de pages : 96
Prix : 19,95 €
Belles fêtes à tous !