Un nouveau Valmont
« -La peste soit de ces postillons ivres de vitesse et de mauvais vin !
-Baron, je vous dois presque la vie ! Les chaises de poste vont au galop, mais le courrier arrive au pas ! En cette matière aussi bien des progrès restent à accomplir.
-En termes de confiance également. Hier, alors que je déposais des lettres au relais de Mouthiers, j’ai surpris un homme en train de soudoyer le maître de poste. Un homme que j’avais déjà croisé dans Paris. Un homme de fort mauvaise réputation. Avez-vous entendu parler du chevalier de Saint-Sauveur ? »
Juin 1745. Eunice de Clairefont, jeune aristocrate de la noblesse française, vient de rencontrer Corentin du Préau de Vazelles, baron de la Tournerie, en villégiature dans le voisinage pour l’été. Il cherche son chemin. La belle propose de le guider en échange de nouvelles de la ville. Ils parlent de cartographie, de sciences, et, lorsqu’un postillon les dépasse à vive allure, la conversation dévie sur un homme rencontré la veille par le baron : un certain chevalier de Saint-Sauveur. Eunice ne lui répond pas, mais elle connaît bien l’individu, tout du moins les lettres enflammées qu’il lui envoie régulièrement et qu’elle préfère ignorer.
Après avoir vu le film de Stephen Frears et lu Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, frappé par son intelligence et sa finesse, Alain Ayroles s’est découvert l’envie d’une immersion en plein XVIIIème siècle. Ayant travaillé pour l’époque avec Les Indes fourbes, il a eu l’idée de mêler les univers des Liaisons avec celui du Dernier des Mohicans de Fennimore Cooper. Le Chevalier de Saint-Sauveur est un mystérieux séducteur masqué, sans scrupules, sans morale, prêt à tout pour prendre dans ses filets des proies innocentes dupées par ses proses et ses manigances. Si la série fonctionne, il est prévu de démarrer par un triptyque et de poursuivre par des one shot pour parcourir la période de la philosophie des Lumières jusqu’à la fin de l’Ancien Régime.
Richard Guérineau relève le défi d’illustrer une histoire de correspondances. Le dessinateur du Chant des Stryges s’était familiarisé avec les époques moyenâgeuses au travers de Charly 9, Henriquet et Entrez dans la danse. Le bon en avant s’avérait logique. Les personnages s’écrivent des lettres qui rythment l’avancée du récit. Le risque était grand de tomber dans le livre illustré. Le professionnalisme des auteurs évite l’écueil. Les passages des lettres et ceux dialogués alternent et s’enchaînent avec fluidité. Au niveau visuel, pour les lettres, une typographie cursive a été utilisée sur du papier scanné.
Guérineau est l’un des meilleurs dessinateurs de sa génération. Dans le genre, on parle tout le temps d’Enrico Marini, mais le dessinateur découvert il y a presque trente ans avec L’as de pique scénarisé par Corbeyran est au moins de niveau égal, voir le surclasse dans les décors.
Ayroles et Guérineau réinventent la bande dessinée épistolaire. Romantique, libertin et historique, L’ombre des lumières donne des lettres de noblesse à un Neuvième Art qui n’a plus rien à envier à la grande littérature.
Série : L’ombre des lumières
Tome : 1 – L’ennemi du genre humain
Genre : Histoire
Scénario : Alain Ayroles
Dessins & Couleurs : Richard Guérineau
Éditeur : Delcourt
ISBN : 9782413078548
Nombre de pages : 62
Prix : 19,99 €