La crédulité des autres fait le pouvoir du roi
« -Petite mère ! Viens-nous en aide ! Je bûcheronne dans la région depuis un an. Ma maison est à l’orée de…
-Je sais où est ta cahute, vieil homme.
-Ma fille, Selena, a disparu dans la forêt profonde. Nous connaissons encore trop mal les dangers sibériens. Je crains le pire. »
1899, Radimir Andréiévitch est désespéré. Sa fille Selena a disparu dans la forêt sibérienne. Il s’en inquiète auprès d’Aza Perfionova, celle que l’on appelle la demi-double femme et qui dirige une communauté. Elle règne sur le commerce de la fourrure. Mutilée et obèse, elle se déplace sur un rustique fauteuil roulant. Le vieil homme est près à lui payer les 241 roubles qu’il lui reste de la vente de sa masure en Ukraine pour qu’elle la lui ramène. Dans un premier temps, Aza refuse de l’aider. Grâce à Ivan, un jeune villageois, le père malheureux trouve de l’aide en Jason, plus chasseur que trappeur et rival d’Aza. Piquée au vif, la « patronne » décide de leur filer le train.
C’est dans un hiver sibérien rigoureux que nous invite Grégoire Bonne, auteur complet de ce western pas comme les autres. Ce serait plutôt un eastern. On découvre dans une première partie un groupe de trappeurs assistants à un spectacle de marionnettes. En grands enfants, ils rient de la marionnettiste qui n’est autre qu’Aza et qui cherche comme chaque année une nouvelle façon de célébrer le début de la saison. Dans trois jours, elle va emmener les hommes dans le Nord, pour chasser la zibeline, dont elle exhibe une dépouille. Les mois qui viennent s’annoncent durs et gelés mais la qualité de la fourrure de la bête laisse augurer d’une chasse exceptionnelle. Le jeune Ivan rêve de partir avec eux, mais Aza, qui a la charge de l’orphelin, lui confie la responsabilité de l’hôtel en son absence. Il faut bien s’occuper de Jason, l’étranger qui vient d’arriver, et qui se vante d’avoir attrapé toutes les bêtes poilues d’Amérique et vu toutes les merveilles de Chine et d’Europe. Il est venu traquer la zibeline.
Aza Perfionova est un personnage atypique, le genre d’héroïne, ou d’anti-héroïne, qu’on n’avait jamais vu. C’est une mère pour tous les trappeurs, mais tellement étouffante, tellement dirigiste, qu’elle les empêche de grandir. « Quel genre de mère empêche ses enfants de grandir ? » déclare Jason, qui va se positionner en rival, en ralliant Ivan à son camp. Alors qu’Aza adopte le fusil, Jason apporte ses pièges mécaniques en acier qui ont fait leurs preuves sur les castors canadiens, préservant ainsi la fourrure. Alors, pourquoi pas sur les zibelines ? Grégoire Bonne oppose l’expérience, la connaissance, le respect et l’observation de la nature de l’un à l’arrogance, la suffisance et le progrès technologique de l’autre. Le coup de génie du scénario est de faire s’opposer Jason et Aza sur un autre terrain que celui si évident de la chasse, à savoir la recherche de la fameuse Selena. Graphiquement, l’auteur nous offre de splendides cases enneigées, à la manière d’Hermann, chose que l’on n’avait peut-être pas vu aussi bien depuis Un hiver de clown, épisode de Jérémiah. Il utilise malignement le découpage dans les avancées en forêt.
Des personnages inhabituels dans un décor fascinant. Il y a encore tant à exploiter. Grégoire Bonne ne peut pas ne pas proposer un deuxième one shot dans cet univers. La demi-double femme est une double surprise complète, scénaristique et graphique, de cette année, un album qui fera référence.
One shot : La demi-double femme
Genre : Histoire
Scénario, Dessins & Couleurs : Grégoire Bonne
Éditeur : Mosquito
ISBN : 9782493343161
Nombre de pages : 72
Prix : 18 €