Vie d’un réalisateur-poète.
« -Alors ?
-Ça fait quinze jours qu’il ne m’a rien dit d’autre que « Bonjour Bonsoir ». Mais ça ne m’empêche pas de travailler. J’ai tout ici. Et je sais qu’à un moment, ça lui sera bien utile. On ne peut pas tout avoir en tête, ce n’est pas vrai. A un moment ou à un autre, il faut quelqu’un… pour noter. »
Jacques Tati est un cinéaste qui n’a pas d’agenda, pas de clés. Il ignore l’heure. Alors, il a besoin d’une scripte. C’est ainsi que Sylvette débarque à Saint-Marc-sur-Mer, en été 1951, sur le tournage du film Les vacances de Monsieur Hulot. Tati va lui raconter sa vie, depuis les prémices de sa vocation, en observateur des choses de la vie, lui qui était destiné à devenir encadreur dans l’atelier familial de Monsieur et Madame Tatischeff. Admirateur de Keaton, Lloyd, Linder, Mack Sennett, WC Fields ou autres Laurel & Hardy, il se souvient surtout du méconnu Little Tich et sa danse des grands souliers.
Tati débutera dans le Music-Hall avec son numéro « Sport muet ». Colette, écrivaine mais aussi journaliste, rédigea un article en 1936 qui sera son passeport pour le succès. Tati commencera le cinéma en parallèle sans pour autant penser un jour devenir réalisateur, avant que la guerre ne mette un coup de freins à sa carrière. Mai 1947, le tournage de Jour de fête débute, avec seulement une dizaine de personnes pour tout faire, des comédiens aux techniciens. Puis c’est l’invention de Hulot, sa pipe, son chapeau, sa gabardine et son allure dégingandée. On assiste au tournage de tous ses films, notamment le précurseur Playtime, et jusqu’à son dernier court-métrage Forza Bastia qui sera achevé par sa fille Sophie.
Depuis Le chanteur sans nom jusqu’à Lino Ventura, en passant par Dominique A et Vince Taylor, on savait Arnaud Le Gouëfflec expert en biographies originales. Avec Tati et le film sans fin, il pousse le curseur encore plus loin avec une immersion dans la vie de l’acteur-réalisateur, mettant en évidence tout ce qu’il y a de plus poétique chez cet homme qui habitait ses films. La dernière scène avant l’épilogue est particulièrement magique et émouvante, tout en donnant son sens au titre de la bande dessinée. On n’attendait pas Olivier Supiot sur un album comme celui-ci. En quelques planches, on se demande qui d’autre aurait pu mieux que lui dessiner cette vie passionnée. De la silhouette de Monsieur Hulot aux buildings de Playtime en passant par les fenêtres de Mon oncle, Supiot ne dessine pas le livre, il le réalise. Il donne à Tati des allures de Tintin, harcelé par deux Dupondt philosophes qui se questionnent et l’interrogent sur sa théorie du cinéma.
Tait disait : « Un artiste de Music-Hall n’a pas des spectacles… mais un numéro, un seul, qu’il perfectionne tout au long de sa carrière. » C’est ce qu’il s’est attaché à faire. A ranger à côté de Jacques Prévert n’est pas un poète, de Cailleaux et Bourhis, paru il y a quelques années chez Aire Libre, Tati et le film sans fin est de ce genre d’albums-biographie permettant de transcender la vie d’un artiste en utilisant toutes les possibilités du média bande dessinée. Remarquable.
One shot : Tati et le film sans fin
Genre : Biopic
Scénario : Arnaud Le Gouëfflec
Dessins & Couleurs : Olivier Supiot
Éditeur : Glénat
Collection : 9 ½
ISBN : 9782344042885
Nombre de pages : 136
Prix : 22,50 €