Tout en Dark In Real Life
« -Bonjour Soap.
-Vous vous rappelez peut-être de moi, on a fait affaire il y a quelques temps, pour un passeport.
-Oui, bonjour.
-Je vais avoir de gros en papiers. Permettez-moi d’être direct : c’est pas des histoires de fausse fiche d’impôt ou de permis de conduire suspendu. C’est des CNI cette fois, mais pour des réfugiés, des gens qui en ont un besoin vital. Mais il y a un « mais ». Je ne veux pas de trace, pas de paiements en bitcoins, rien. Que du cash. Votre prix sera le mien. On parle de 20 CNI.
-Comment voulez-vous payer en cash ? Ce n’est pas possible.
-IRL. »
Dans un bus, Roxanne, une lycéenne, échange des SMS. Sous le pseudonyme de Soap, elle semble être l’intermédiaire entre un vendeur et un commanditaire sur le darknet, la face cachée du web. Elle n’est pas là pour négocier. Juste pour garantir la transaction. Arrivée devant son établissement scolaire, la jeune femme trouve le lycée bloqué par quelques-uns de ses camarades de classe protestant contre la catastrophe écologique et sociale qui arrive. Roxanne ne rejoint pas le mouvement. Elle, dont la mère a justement quitté l’Iran parce qu’on empêchait les filles d’aller à l’école, préfère se rendre en cours. Pourtant, au fil des jours, c’est plutôt son activité parallèle qui va occuper son esprit. Sur le darknet, elle est recontactée par un certain Odin qui a besoin de CNI, cartes nationales d’identité, pour des réfugiés. Elle ne sait pas que la police enquête activement sur ce réseau.

Le darknet n’est pas un réseau à part entière ou mystérieux. C’est une partie de l’internet à l’accès spécifique dont l’activité n’est ni tracée ni indexée par les moteurs de recherche. On y pénètre par un navigateur particulier, en préservant pour les utilisateurs une navigation anonyme avec adresses IP masquées. Pour autant, il est relativement aisé de s’y connecter et ses ressources représentent une toute petite partie du net mondial. On y trouve des sites, essentiellement des forums, avec des shops où sont vendues des marchandises illégales, des virus informatiques à la drogue. On peut s’y faire faire de faux papiers et autres services illégaux. D’une vocation libertarienne au départ, le dark web est devenu l’abri de criminels aux profils très variés. Une seule règle entre eux : ne jamais se rencontrer « in real life ».

Le duo de scénaristes Mark Eacersall et Henri Scala propose un thriller documenté sur le darknet et la cybercriminalité. En mettant en scène une adolescente de tous les jours, ils montrent que n’importe qui peut mettre le doigt dans un engrenage diabolique dont il est impossible de sortir. Des Roxane, on en croise tous les jours en passant devant les lycées. Le scénario montre le travail complexe des forces de police face à des individus qui maîtrisent leur univers. Très instructif, le scénario manque cependant de densité et aurait gagné à être ramassé sur une soixantaine de planches plutôt que les deux cents dont certaines pourraient très facilement être condensées. La problématique retombe sur le dessinateur Jérôme Savoyen, dont c’est le premier album, et qui peine parfois à remplir ses grandes cases. Ses personnages aux influences manga sont quant à eux très bien campés. Les regards en disent long, pouvant être troublants comme dans la dernière case qui permet plusieurs interprétations.

A l’orée de l’avènement de l’intelligence artificielle, cette plongée dans les entrailles du darknet contribue aux inquiétudes que l’on peut avoir face à un web tentaculaire qui devient de plus en plus complexe à dompter. Dans la catégorie thriller, IRL renouvelle le genre.
One shot : IRL
Genre : Thriller
Scénario : Mark Eacersall & Henri Scala
Dessins & Couleurs : Jérôme Savoyen
Éditeur : Glénat
Collection : 1001 feuilles
ISBN : 9782344052341
Nombre de pages : 208
Prix : 23 €