Quand Lyon voyait naître la lutte sociale féministe
Ardèche, 1867, la vie n’a rien d’épanouissement dans les campagnes pour les jeunes filles paysannes. Les lumières de la ville a plutôt tendance à les attirer … d’autant plus si un recruteur leur propose un travail dans une filature avec un salaire annoncé « honnête ».
C’est pourquoi, avec leur ticket de train offert, Camille et Adélaïde se retrouvent en route pour Lyon afin de devenir « ovalistes »*.
« – Le recruteur m’a dit de me présenter chez Bonnardel à Lyon. A 2 francs la journée, avec le gîte et le couvert … le curé m’a conseillé de saisir ma chance. Là-bas, on gagnera not’ vie, c’est mon père qui m’l’a dit.
– Si on ne veut pas finir vieilles filles, faut aller à la ville ! Moi, tous mes sous gagnés y z’iront pour mon trousseau de mariage ! »
Mais à peine arrivées, la réalité est toute autre. Salaire moindre, ni logement, ni couvert compris mais loués par le patron, … Ne pouvant rentrer dans leur campagne, elles sont contraintes d’accepter des conditions moins intéressantes.
Le travail à proprement parlé n’apparaît pas forcément difficile … Pourtant levées à 5 h du matin, un horaire de 12 h par jour, dans un environnement toxique, sans protection, … la fatigue et les maladies se font rapidement ressentir. Adélaïde n’y résistera pas à la longue ! La tuberculose l’emportera … laissant Camille seule dans cet enfer industriel du XIXe siècle.

© Bruno Loth – Delcourt 2025
Si on ajoute au fait que Lecorbin, le contremaitre d’un des ateliers, agit plus comme un garde-chiure vicieux que comme un contremaître compréhensif, la situation devient vite cauchemardesque !
Mais que faire, lorsque le patron ferme les yeux, face à des « porions » tout puissants, usant de leur force et autorité, pouvant renvoyer qui ils veulent, appliquant un droit de cuissage perpétuel ? Nulle ne peut s’opposer à eux !
Malgré les promesses sociales du nouveau député du Rhône, la situation ne s’améliore guère.

© Bruno Loth – Delcourt 2025
Néanmoins, loin d’abandonner, de s’abandonner, les ovalistes se soutiennent et s’entraident !
Le xième viol d’une des leurs est la goutte qui fait déborder … exploser le vase ! Unies dans le même purgatoire, elles commencent à se regrouper, à s’organiser et réclament des droits, des changements !
Cependant M. Bonnardel et les autres patrons des filatures font la sourde oreille à leurs revendications bien légitimes : de meilleures conditions de travail, un salaire plus juste, une nourriture plus correcte, plus de repos, … Loin de les écouter, ils préfèrent même s’en moquer et ridiculisent leurs ouvrières ! Une grève générale est alors déclenchée !
S’en suit une répression terrible avec fermeture des dortoirs, des ateliers, appel à la force publique, arrestation des meneuses, remplacement des grévistes par des ouvrières venues du Piémont (et dont le salaire sera encore moindre !), …
Pourtant le mouvement résiste, obtenant le soutien financier de la jeune AIT (Association internationale des Travailleurs – ancêtre de la Première Internationale), les ouvrières s’obstinent sans fléchir dans leurs revendications !
La grève dure, les patrons s’inquiètent et finalement le politique est contraint de s’en mêler.
Toutefois le soutien de l’AIT ne risque-t-il pas de confisquer cette grève à son seul profit ? En se faisant lentement mises à l’écart des discussions avec les patrons et politiques par les dirigeants syndicaux, les ovalistes ne verraient-elles pas les avantages enfin conquis bénéficier uniquement aux hommes ?

© Bruno Loth – Delcourt 2025
Le long combat féministe de la classe ouvrière vient de démarrer … avec cet épisode souvent ignoré. Nous sommes fin juin 1869. La grève finira le 29 juillet, soit un gros mois plus tard … sans que les ovalistes n’obtiennent réellement grand chose.
Mais l’essentiel n’est pas là en fin de compte. Si la lutte ouvrière, la lutte des classes, l’égalité des sexes sont loin d’être gagnées (aujourd’hui encore), cette première grève des ouvrières servira de prise de conscience pour la suite ! Il valait bien une étincelle de départ …
» – Mais nous ne pouvons plus lutter, mon ange ! C’est fini ! Toutes les fabriques ont repris …
– Les patrons ont gagné …
– Oui, ce coup-ci !
– Cette petite a raison, on va pas baisser les bras ! Au contraire, continuons le combat !
– Continuer la lutte, ça veut dire retourner à l’usine ?
– Oui, et répandre nos idées parmi nos sœurs ouvrières …
– Mes fenottes, nous serons les braises de la révolte !
– Les flammèches qui embrasseront le pays ! «
Un récit à la Zola, un scénario digne de ses plus sombres romans naturalistes, mais authentique !
Partant de faits réels, la grève de 250 ovalistes pendant l’été 1869 à Lyon, ce récit est à la fois prenant et éclairant des conditions de travail des femmes 2e moitié du XIXe siècle dans les industries et filatures françaises.

© Bruno Loth – Delcourt 2025
Dans une narration classique, faisant la part belle au témoignage des conditions de travail difficiles, aussi bien matérielles qu’humaines des ovalistes de l’époque, nous suivons le combat de Camille, de Philomène Rozan, … Cette dernière, présidente du comité de grève, deviendra plus tard déléguée des 8.000 ouvrières lyonnaises au Congrès de l’AIT à Bâle.
Avec un esprit « documentaliste » évident, Bruno Loth nous plonge dans l’antre des filatures, dans le Lyon des années 1870. Il met l’accent, la lumière sur la réalité sociale de ces femmes dont le travail était indispensable à la prospérité de la ville mais en même temps sous-considéré humainement.
Après « Mémoires d’un ouvrier », « Dolorès », … voici un nouveau récit-fiction historico-social comme les aime Bruno Loth, une immersion émouvante dans la 2e moitié industrielle du XIXe siècle.

© Bruno Loth – Delcourt 2025
A la fois scénariste et dessinateur, Bruno apporte un soin tout particulier aux décors, aux paysages, aux machineries, …
Un album en noir et blanc monochromé, au trait semi-réaliste agréable et bien dosé.Une lecture passionnante et enrichissante !
Titre : La Fabrique des Insurgées – 1869, la première grève d’ouvrières
Scénario, dessin, couleurs : Bruno Loth
Éditeur : Delcourt
Collection : Histoire & histoires
Genre : roman graphique
Thème : Histoire, social, syndicaliste
Parution : 7/5/2025
Pages : 128
Format : 22,8 x 29,8 x 1,7 cm
ISBN : 978 2413089285
Prix : 20,50 €