Dix ans, et plus, de tintinologies
« -Qu’est-ce qui s’est passé ?
-Le dernier bouquin que je voulais ranger, figure-toi que c’était le tien…
-« La vraie vérité sur Tintin » ?
-Oui, je l’ai reçu ce matin… Je ne sais pas si je dois te remercier, vu la suite… La seule place qui restait pour le ranger, c’était tout en haut de la bibliothèque… Perché sur l’escabeau, j’ai forcé pour caser ton chef-d’œuvre entre le plafond et la plus haute pile… Il n’est pas très épais, mais la pression a suffi à desceller les pitons qui retenaient les étagères complètement surchargées, et comme les bibliothèques étaient solidarisées les unes aux autres, elles se sont toutes effondrées…
-Si tu avais péri dans cet effondrement, tu n’aurais pas été le premier à mourir écrasé sous sa bibliothèque…(…) Mais calencher sous tous les ouvrages consacrés à Hergé et surtout, écrabouillé sous tous les albums de Tintin, avoue que c’est la plus belle mort dont puisse rêver un Tintinophile comme toi ! »
Olivier Roche a failli mourir dans l’effondrement de sa bibliothèque alors qu’il y rangeait le dernier opus d’Albert Algoud. Olivier Roche est tintinophile et tintinologue. C’est un tintinologue spéléologiste. Il y en a peu. Si le tintinologue dit classique se reconnaît par sa passion pour l’œuvre de Hergé et sa connaissance pointue des aventures du reporter, le tintinologue spéléologiste a exploré toutes les cavités souterraines du monde de l’édition et a déniché l’ensemble des ouvrages, livres et revues, consacrés à Hergé. Si certains bouquins publiés dans des maisons d’éditions renommées se trouvent aisément sur les présentoirs des librairies, d’autres ont des tirages plus confidentiels, voir sont diffusés à quelques exemplaires seulement dans une sphère familiale ou privée. Par bonheur, le tintinologue spéléologiste, et en particulier Olivier Roche, est généreux. Il a le don du partage. Tous ces livres recensés, le spécialiste les a déjà énumérés dans un premier tome de Tintin, bibliographie d’un mythe, publié il y a une dizaine d’années. Dans ce second, ou peut-être deuxième, volume, l’exégète balaye la période 2014-2024 en guise de mise en jour, l’annexant de quelques oublis. Alors, prenez votre casque et votre lampe frontale, équipez-vous de harnais et de baudriers et suivez Olivier Roche dans les couloirs des publications tintinesques.

© Hergé/Tintinimaginatio 2024
Le TBM classifie les ouvrages en sept chapitres. Chaque livre est présenté avec sa couverture, son principe en est décrit avant qu’Olivier Roche en note l’intérêt… ou pas. (Big up à Bob Garcia !) On commence par Textes et versions (d’albums de Tintin ou de Quick et Flupke), puis la conséquente partie sur les études critiques. Les amplifications imaginaires précèdent les hommages, catalogues d’expositions et questionnements sur l’avenir, avant de se pencher sur les livres consacrés au créateur. Les deux derniers chapitres sont originaux. Ils traitent des ouvrages non publiés en français, comme une inédite version suédoise des jurons du Capitaine Haddock recensés par Albert Algoud, puis des périodiques et séries, comme l’indispensable Houpette libérée, lettre électronique mensuelle ou presque rédigée par l’omniscient Olivier Roche.
Les livres de Philippe Goddin sont parmi les plus remarquables, aussi bien dans le sens de leur qualité que de leur visibilité (zeugma !). L’auteur enchaîne La malédiction de Rascar Capac (Les secrets du Temple du soleil) en 2014, les tribulations de Tintin au Congo en 2018, puis Hergé, Tintin et les américains en 2020. Les bouquins fourmillent de détails, d’anecdotes et de références. Goddin était prêt à faire de même sur les albums suivants mais les relations compliquées avec Nick Rodwell, le gardien du temple (entendez par là l’héritage de Hergé et non pas celui du soleil), ont sabré l’auteur dans son élan.
Entre Casterman et Moulinsart, filiale d’édition de Tintinimaginatio, les « Je t’aime moi non plus » scandent les parutions et en particulier les versions colorisées des premières aventures en noir et blanc. Il semble que les relations soient apaisées.

© Hergé/Tintinimaginatio 2024
Olivier Roche met en exergue dix ouvrages fondamentaux, dont la plupart l’ont été également pour Boulevard BD. On retrouve ainsi Hergé et la presse, par Geoffroy Kursner, Casterman de Tintin à Tardi, par Florian Moine, Tintin au-delà des idées reçues, par l’avenir de la tintinologie Patrice Guérin, Le mystère Tintin, par le fort agréable à lire Renaud Nattiez, Les îles noires d’Hergé, pavé signé Ludwig Schuurman, La dernière aventure de Tintin et d’Hergé, sous-titré L’Alph-Art ou l’art de l’inachevé, par l’une des trop rares tintinologues Nicole Benkemoun, Les rêves de Tintin, par Pierre Fresnault-Deruelle (Les livres de PFD sont remarquables mais il ne faut pas oublier de se munir d’un dictionnaire), Objectif Hergé de Michel Porret, Tintin au pays du mal, par Jean-Philippe Costes, RG renseignements généraux, par Emmanuel Rabu et Jochen Gerner, et pour finir, l’indispensable et tendre Hergé et le carnet oublié du passionnant Jacques Langlois.

© Hergé/Tintinimaginatio 2024
Pour conclure à la façon du serpent qui se mord la queue dans Tintin au Congo, comme le rappelle Olivier Roche en me citant en page 10 de ce livre : « Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau. »


Titre : Tintin, bibliographie d’un mythe 2014-2024
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Olivier Roche
Préface : Albert Algoud
Éditeur : Les impressions nouvelles
ISBN : 9782390702092
Nombre de pages : 312
Prix : 30 €