La belle époque du fait divers
« -Une fillette a disparu, Marguerite. Et elle a sûrement été assassinée !
-C’est triste, Jean, mais on ne va pas cesser de vivre chaque fois que quelqu’un est assassiné !
-Marguerite…
-Surtout que si on lit vos journaux, on assassine tous les jours dans ce pays ! »
Paris, février 1907. Marguerite est énervée. Alors qu’elle s’apprêtait à partir en voyage de noces à Venise avec son époux journaliste, un drame est découvert du côté de Ba-ta-clan. Promettant de lui payer le séjour ultérieurement, le patron du mari réquisitionne son rédacteur pour couvrir les faits. La mariée va devoir faire contre mauvaise fortune bon cœur. Les cadavres n’attendent pas. Voici donc Valentin en charge de l’affaire. Marthe Erbelding a disparu jeudi dernier. Albert Soleilland, un ami de la famille, était venu la récupérer à une heure de l’après-midi, pour l’amener à un concert à Ba-ta-clan. Partie aux water-closets, elle n’est jamais revenue. Aucune trace ni dans les hôpitaux, ni à la morgue. La police est sur les dents. Soleilland est suspecté, mais sans cadavre, l’affaire est complexe. Il ne faudra pas attendre longtemps avant qu’il n’apparaisse.
Valentin reporter est donc chargé de couvrir le fait divers pour son journal, accompagné de Léonie, une illustratrice bien utile en cette époque où la photographie n’est pas encore démocratisée. La concurrence est rude. Il faut vendre du papier, sans pour autant raconter n’importe quoi. L’enquête doit avancer. Les titres doivent être accrocheurs. Les explications confuses de Soleilland et la découverte de la dépouille vont-elles le confondre ? A cette époque, bien que le président de la République Armand Fallières étant un farouche partisan de la suppression de la peine de mort, celle-ci est encore en application. L’affaire est l’occasion de relancer le débat.
Sylvain Venayre et Hugues Micol s’emparent d’un événement tragique réel pour dépeindre la société parisienne d’il y a à peine un peu plus d’un siècle. C’était hier que les familles, parents et enfants, avaient pour sortie loisir du dimanche la visite de la morgue pour « admirer » les cadavres de la semaine. C’était hier que les condamnés à morts étaient exécutés, parfois en place publique devant une foule nombreuse. Déjà à l’époque l’insécurité était un prétexte à diviser les classes politiques. Le cas Erbelding/Soleilland n’est qu’une affaire parmi tant d’autres. Venayre raconte cette histoire sans mettre en scène ni la victime ni l’assassin, positionnant le lecteur de l’album en lecteur de la presse quotidienne d’alors. Le récit dure une semaine. Chaque jour est chapitré par un grand dessin double-page immergeant au cœur de la capitale. Le trait que l’on a connu plutôt underground de Micol se précise pour s’installer dans cette ambiance historique pré-guerre mondiale, à une heure où il y avait une certaine insouciance chez le quidam, plus préoccupé par la vie du quartier que par la géopolitique internationale. En fin d’album, des notes explicitent le travail des auteurs et ajoutent des précisions historiques sur de nombreuses scènes de l’album.
A ranger à côté de L’abolition, signé Marie Bardiaux-Vaïente et Malo Kerfriden chez Glénat, Les crieurs du crime offre une réflexion sur l’intérêt du public pour les histoires de crimes, la curiosité malsaine et par ricochets sur la peine de mort. Ça donne ainsi un portrait de la France en début et en fin du siècle dernier.
One shot : Les crieurs du crime
Genre : Polar historique
Scénario : Sylvain Venayre
Dessins & Couleurs : Hugues Micol
Éditeur : Delcourt
Collection : La découverte
ISBN : 9782413081579
Nombre de pages : 144
Prix : 22,95 €