La vie n’existe qu’entre lumière et obscurité
« -Will, maintenant que je suis enfin remis sur pied, je te souhaite officiellement la bienvenue à Val-de-Brume, domaine de la Province de Gris.
-Il fait un temps de chien, ça me rappelle le pays.
-Oui, on en regretterait presque le sable chaud.
-Le sable… mais pas le sang. Pierre, je suis un simple chevalier. Et tu es mon supérieur, alors je dois te prévenir… Plutôt mourir de ta main que d’y retourner.
-Je ne voulais pas rentrer… Ma vie ici était en ruine… Et je ne pense pas me trouver un nouvel avenir. »
Dans la forêt en pleine nuit, un homme entraîne sa fille enceinte à la rencontre de Dame Marion. Rebouteuse, fée ou sorcière ? Elle châtiera le responsable et consolera la victime. Où est la mort dans le temps ? Plus tard, ailleurs, au Val-de-Brume, domaine de la province de gris, un homme, de retour de croisades bien amoché, le chevalier Pierre de Brume, lutte contre la faucheuse sur une table où il est soigné. Si la mort n’a pas voulu de lui, c’est bien parce que Marion l’a aidé à s’en sortir. Elle n’est pas rancunière. Enfants, ils étaient bien complices avant que le futur chevalier n’abandonne la guérisseuse. Une fois remis sur pied, Pierre de Brume va souhaiter rencontrer sa sauveuse, mais on ne peut pas dire que l’accueil sera chaleureux. Apparemment, il arrive sept ans trop tard. De retour au château après avoir été victime d’un piège d’étranges hommes-corbeaux, Pierre se met au service du bailli Randolf d’Artois qui a pris les choses en main pendant son absence au combat. Il faut protéger les convois recueillant les taxes. Au milieu de tout ça, Jean, le jeune orphelin balafré, gagne de quoi manger en servant l’Eglise, tout en observant la folie des hommes. Tant que le passé n’a pas réglé ses comptes, les âmes resteront des armes aux pointes acérées.
A la base, Mémoires de gris est une relecture de Robin des Bois. Sylvain Ferret le revendique. Il a voulu faire ce qu’a fait Loisel avec Peter Pan, avec un côté Dark. Au fil de l’écriture, le projet s’est éloigné de l’objectif originel mais en garde l’ambiance. Ecrit en partie pendant la crise des gilets jaunes, il met en avant une lutte des classes et se pose la question de l’utilité de la violence pour acquérir des libertés. Ce récit social est avant tout réaliste, mais avec un soupçon de fantasy, sur le fil, de manière quasi-onirique. Le chêne majeur millénaire est un observateur des humains. Ferret s’est inspiré du Major Oak, arbre qui existe réellement dans la forêt de Sherwood en Angleterre, celui-là même qui aurait servi de repaire à Robin des Bois.
Ferret scénariste se place dans la peau du conteur de tradition orale. L’histoire pourrait être de celles racontées au coin du feu de générations en générations. L’auteur a particulièrement soigné les dialogues, avec des phrases sentences ciselées qui surlignent le récit et portent à réflexion. Un exemple : « Il y aura toujours une guerre et Dieu pour que les pauvres et les rois restent à leur place. » Un autre : « Les clefs les plus brillantes ne sont pas celles qui importent. »
Entre temps présent et flashbacks, Ferret dessinateur relève le défi en proposant des ambiances distinctes. Pour le présent, la ligne et l’encrage sont nets. Pour le passé, le trait est plus épais, plus jeté, tout en niveau de gris, sauf pour les souvenirs violents teintés de rouge. Si Ferret ne fait jamais de concession justement, c’est dans cette fureur, cette véhémence, cette brutalité dépeignant un Moyen-Âge sans concession où l’honneur est plus fort que le pardon. Le final, grandiose, n’est pas sans rappeler La belle au bois dormant. L’ombre de Maléfique agite la fureur des hommes.
Deux saisons, le printemps et l’automne, chapitrent le récit. Ce sont les saisons où les rêves sont des voleurs de réalité et les héros des princes du mensonge. Le printemps est la saison des amours et l’automne celle de la chasse. Mémoires de gris est une histoire d’amour et de haine qui s’ajoute aux contes et légendes dont la forme intemporelle invite à se questionner sur le fond, reflet des sociétés humaines.
One shot : Mémoires de gris
Genre : Aventure moyenâgeuse
Scénario, Dessins & Couleurs : Sylvain Ferret
Éditeur : Delcourt
Collection : Terres de légendes
ISBN : 9782413043645
Nombre de pages : 240
Prix : 29,95 €