Année zéro d’un mythe
« -Tu reviens bientôt, Astérix ?…
-Je serai de retour pour déjeuner, Obélix… »
L’ouvrage s’ouvre sur une préface de Christian Godard, l’un des derniers monstres sacrés de l’âge d’or d’une bande dessinée qui a traversé les générations. Présent dès le numéro zéro, qui mieux que lui pouvait présenter cette enquête sur la création de Pilote ? Le livre dont il est question n’est pas un livre sur l’histoire de Pilote, mais un livre sur sa genèse. L’intérêt en est d’autant plus exceptionnel qu’il nous raconte les coulisses méconnues restées dans l’ombre. Godard raconte sa rencontre avec Goscinny, avant Pilote, le projet de numéro zéro en 1959, leurs travaux en commun, la direction bicéphale Goscinny-Charlier, les conférences de rédaction, le tournant de Mai 68, l’évolution de ses rapports avec Goscinny, son départ du journal, puis son retour quelques années plus tard. Mais avant tout ça, il y avait quoi ?
On découvre dès les premières pages qu’il y a eu un projet Pilote plusieurs années avant celui que nous connaissons tous, porté par un certain François Clauteaux. Fin 1944, avec quelques camarades dont Louis-Martin Tard qui trouve le titre, il pose les bases d’un magazine de reportages et d’enquêtes. La maquette ne convaincra pas. Clauteaux se dirigera après-guerre vers un autre média : la radio et la publicité. Il déniche le jeune Rodolphe, un gamin qu’il utilise dans des publicités et qui plus tard se retrouvera en photo dans Pilote, mais on n’y est pas encore.
Le chapitre suivant raconte les années Worlds, de 1945 à 1956. Cette agence était à l’époque le principal fournisseur de contenu pour les éditions Dupuis. Dirigée par Georges Troisfontaines, y travaillent entre autres Goscinny, Uderzo, Charlier, Hubinon et Jean Hébrard, qui avait failli faire partie de l’aventure Pilote version Clauteaux si ses engagements militaires ne l’en avaient pas empêché. Au final, ce n’était pas grave puisque le projet n’avait pas abouti. On y suit les aventures éditoriales de Pistolin et de Risque-Tout, avant la scission entre des auteurs et un patron trop intéressé qui débouchera sur la signature d’une charte et d’un syndicat d’auteurs. Philippe Charlier, fils de Jean-Michel, apporte son éclairage sur son père dans cette aventure Worlds Press.
Suit l’épopée Edifrance de 1956 à 1958, dont Hébrard sera PDG. Charlier, Uderzo et Goscinny sont de la partie. Ils relancent Pistolin, avec dans l’équipe Hubinon et Martial. Puis, c’est la tentative avortée du Supplément illustré en 1957 qui aurait été destiné à des journaux du week-end, avec un casting plus qu’alléchant dont Jijé, Peyo, Will, Sempé, Franquin ! Les quatre pages du projet sont reproduites en intégralité. Après l’aventure du magazine Radio-Télé, c’est l’arrêt de Pistolin et la raréfaction des productions, parce que les auteurs sont allés voir ailleurs, qui vont grandement diminuer les activités de la boîte qui était devenue Edifrance. Mi-58, voici le retour de François Clauteaux qui sollicite Jean Hébrard.
Nous sommes donc en 1958. L’aventure de Pilote va réellement débuter. Clauteaux, Hébrard, Goscinny, Charlier et quelques autres planchent sur un nouveau projet qui serait le Paris-Match des 10-15 ans. Uderzo réalise une maquette, avec l’aide d’autres auteurs. On peut l’apprécier elle aussi en intégralité. Il va falloir à présent trouver un financement. Dans une seconde maquette, on remarque la planche Le roman de Renart de Goscinny et Uderzo, projet qu’ils devront abandonner puisqu’un autre auteur s’en est déjà emparé chez Vaillant. C’est de la contrainte que naîtra l’idée de génie puisque cela amènera à la naissance d’Astérix à l’été 59. Petit à petit, l’équipe s’étoffe avec l’arrivée de Godard. Des vedettes se préparent : Michel Tanguy et Barbe-Rouge attendent le top départ. Le coin didactique du Pilotorama est en gestation. On est même invités à la préparation de la mythique photo de groupe des auteurs du journal qui se trouvera en une du Pilote numéro zéro, lui aussi reproduit en intégralité, avec les emplacements vides des publicités prévues. Un mystère demeure avec la très hypothétique existence d’un autre numéro zéro avec un enfant Arlequin en couverture.
Après tous ces préparatifs, c’est le 29 octobre 1959 que paraît le numéro 1 du journal Pilote, le grand magazine illustré des jeunes, à grands renforts de publicités, trente pages reproduites elles-aussi. Georges Guéthary chante Ohé, Pilote !, un indicatif radiophonique pour le magazine. Six semaines plus tard, en raison de déboires familiaux, François Clauteaux quitte déjà la rédaction en chef. Une crise financière touchant le diffuseur met le journal en péril, avant l’arrivée providentielle de Georges Dargaud, mais là, on aborde déjà une autre histoire.
On n’avait pas lu de livre aussi pointu depuis La véritable histoire de Spirou de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault et dont on attend avec impatience le troisième et dernier tome. Le quatuor Christian Kastelnik (qui fait des recherches depuis plus de vingt ans sur le sujet), Patrick Gaumer, Clément Lemoine et Michel Lebailly mène une enquête tout aussi passionnante sur les origines de Pilote. De quoi se replonger ensuite avec délectation dans les imposantes Années Pilote, de Gaumer, parues chez Dargaud.
One shot : Pilote La naissance d’un journal
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Christian Kastelnik, Patrick Gaumer, Clément Lemoine, Michel Lebailly
Éditeur : La déviation
ISBN : 9791096373581
Nombre de pages : 320
Prix : 50 €