Le pouvoir de dire « Non »
« -Les passagers blancs doivent céder leur place aux blancs. Toi aussi, bonne femme, va t’asseoir au fond, à ta place.
-Non monsieur.
-Qu’est-ce que tu dis ?
-Je ne me lèverai pas. Cette place me convient parfaitement. »
1er décembre 2014. Aloysius, chauffeur de taxi noir, en fin de carrière, accueille dans son véhicule un jeune rappeur, noir lui aussi, sortant d’un gala de charité. Ce dernier porte un t-shirt sur lequel est inscrit « I can’t breathe » (« Je ne peux pas respirer »). Manifestement, le musicien arrogant ne sait pas ce qu’il signifie. C’est son manager qui lui a dit de le mettre ce soir. Aloysius lui explique que la phrase rappelle la mort d’Eric Garner, étouffé par un policier qui l’avait arrêté pour contrebande de cigarettes. L’expression deviendra le slogan du mouvement Black Lives Matter. C’est l’occasion pour Aloysius de revenir sur son enfance dans les années 50 et sur la ségrégation.
Cinquante-neuf ans plus tôt. 1er décembre 1955, Alabama. Ce jour-là va changer la face du monde. Rosa Parks, une couturière de 42 ans, va refuser de céder sa place dans le bus qui la ramène chez elle. Pourtant, elle l’a payée, comme tout le monde. Alors, pourquoi le chauffeur lui demande-t-il de se rendre au fond du véhicule ? A-t-elle commis une faute ? Est-elle en infraction ? Rien de tout cela. Elle est afro-américaine. Elle est noire. C’est qu’à cette époque-là, l’avant du bus est réservé aux blancs. C’est la ségrégation. A cause de son refus, Rosa Parks va être arrêtée. Conduite au poste de police comme une vulgaire délinquante pour conduite inappropriée, la matricule 7053 sera libérée sous caution sans passer une seule nuit en garde à vue. La lutte est lancée. Les noirs ne vont plus se laisser faire. Ils vont commencer par boycotter les autobus.
Après le biopic d’Angela Davis paru également chez Des ronds dans l’O, la scénariste italienne Mariapaola Pesce s’attache au destin de Rosa Parks, celle qui a dit non. Elle revient sur un pan de l’histoire des droits civiques aux Etats-Unis. Rosa Parks va entamer un combat aux côtés de Jo Ann Gibson Robinson, Claudette Colvin et Martin Luther King. Le dessinateur, italien lui aussi, Matteo Mancini, travaille dans un trait crayonné aux couleurs aquarelles. Les scènes des années de combat sont dans à la frontière du beige et du sépia. Les scènes contemporaines, dans la nuit newyorkaise, sont incroyables. Les lumières de la ville donnent le ton. Voyez en particulier la planche de l’arrêt au feu tricolore : six cases sur le visage du chauffeur Aloysius éclairé de six manières différentes.
Revenons un instant sur Claudette Colvin qui, à 15 ans, quelques mois avant Rosa Parks, avait elle aussi refusé de laisser sa place dans un bus. On ne saurait que vous conseiller Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin, le magnifique album que lui a consacré Emilie Plateau chez Dargaud en 2021 d’après le roman de Tania de Montaigne. De sa naissance à l’abolition de la ségrégation, on suivra ses pas. Elle est encore vivante aujourd’hui, et l’on apprend pourquoi son nom a quasiment disparu des tablettes.
A l’heure où les montées de partis politiques extrémistes progressent comme des armées de démons, la vie de Rosa Parks donne un coup de pied dans la fourmilière. Ce livre témoignage montre d’où l’on est parti, du gouffre qu’on dû franchir les comportements pour devenir tout simplement « civilisés ». Il invite à ne pas revenir en arrière, avec quelque communauté que ce soit. Au même titre que Claudette Colvin ou Angela Davis, Rosa Parks fait partie de ces femmes qui ont contribué à l’évolution du changement des mentalités dans une Amérique raciste, à changer la face de l’Amérique, et par ricochet la face du monde.
One shot : Rosa Parks
Genre : Biopic
Scénario : Mariapaola Pesce
Dessins & Couleurs : Matteo Mancini
Éditeur : Des ronds dans l’O
ISBN : 9782374181424
Nombre de pages : 128
Prix : 22 €