Dystopie rodolphienne
« -Dites, Sam, je voulais vous demander : toutes nos archives sont maintenant enregistrées, mais reste-t-il encore des supports anciens ?
-Des livres ? Voilà, je ne trouvais plus le mot ! »
Nous sommes à une époque où les livres n’existent plus. Tout a été numérisé. De toutes manières, ils sont interdits. Will Jones travaille à l’académie historique. Pour un présent heureux, il faut un passé lisse. C’est son job. Comme tous les jours, c’est une belle journée. Le ciel est bleu. Des agents vérificateurs humanoïdes sont venus chez Will pour s’assurer que les implants qui lui ont été insérés dans le cerveau fonctionnent bien, vraie assurance sur le bonheur, et que Kris, sa compagne cybernétique, lui donne entièrement satisfaction : bonne cuisinière, bonne ménagère et douces entrées. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce Will découvre que quelqu’un lui avait glissé dans une poche… un livre !
A l’académie historique, Will et son équipe travaillent en ce moment sur la relecture des mémos communistes. Ils ont nettoyé l’axe principal de ce parti politique d’autrefois, mais il y a des tas d’annexes, textes et images, à « lisser ». Dans ce futur, il semble falloir oublier le passé. Chacun vit dans une certaine virtualité. Après la journée de travail, la principale occupation est de devenir le personnage d’une série « double vie », pour vivre des aventures extraordinaires dans la peau de personnages incroyables. Ça fait du bien dans ce monde où en apparence tout est si propre, sans aspérité. Il aura fallu qu’un livre donne un coup de pied dans la fourmilière : Individu et utopie, c’est son titre. Tout un programme. Will le lit et le fait disparaître dans ses toilettes avant que quelqu’un ne le découvre. Mais on lui en glissera un autre dans la veste, puis un troisième… Qui fait cela ? Dans quel but ? Le deuxième épisode accentue le mystère en basant le propos sur l’identité. Qu’advient-il lorsque notre identité devient gênante pour ceux qui tirent les ficelles de la société ?
Rodolphe pose les bases d’une nouvelle trilogie, une dystopie… Une utopie ? Ce monde aseptisé ne fait pas particulièrement rêver. Mais ne serait-ce pas quelque chose vers lequel l’humanité pourrait se diriger ? Seul l’avenir dira si Rodolphe aura été visionnaire sur ce coup-là. Comme dans Ter et Terre, comme dans Demain, le scénariste disgresse, imagine, inquiète tout autant qu’il prévient. Ici, on est dans une phase post-SOS bonheur, scénarisé par Van Hamme pour le même Griffo, à une époque où le dessinateur était au sommet de son art. Car si Griffo est un dessinateur assuré, sur lequel on peut compter, même si son trait est parfois aujourd’hui un peu rapide, il adopte plusieurs fois dans la série une technique qui a été reprochée au grand Morris à la toute fin de sa carrière : celle de la photocopieuse. Maintenant, on dit scanner. Qu’un dessinateur de la trempe de Griffo duplique plusieurs fois certaines de ses cases, c’est regrettable. C’est flagrant, en particulier dans le tome 1. Il ne faut pas que ça fasse passer à côté de cette histoire qui porte à réflexion.
Utopie est un thriller futuriste de la trempe d’un Bienvenue à Gattaca ou autre 1984. Le tome 3 est annoncé pour septembre.
Série : Utopie
Tomes : 1 & 2
Genre : Dystopie
Scénario : Rodolphe
Dessins : Griffo
Éditeur : Delcourt
ISBN : 97824130790-33/-40
Nombre de pages : 48
Prix : 13,50 €