Morts mystérieuses en bord de mer
« -Monsieur l’agent ! Monsieur l’agent, s’il vous plaît ! La nuit du défenestré, j’ai vu une enfant dans la rue. Elle était seule, cela m’a paru étrange…
-A cette heure-là, nos enfants sont couchés, jeune homme. »
Dans un petit village de campagne galloise en bord de mer, l’été commence bien. Une baleine est retrouvée échouée sur la plage, le corps lacéré et les entrailles à demi dévorées. Quelle créature a bien pu lui faire subir ce sort ? Le soir, un homme trouve une poupée devant sa porte. Sa femme lui demande de faire disparaître cette abomination. Il file jusqu’au port et la jette à la mer. Le lendemain, le couple est retrouvé mort dans leur lit, comme s’ils avaient été piétinés par des chevaux. Chose étrange et paradoxale, il n’y a aucune éclaboussure de sang sur les meubles et les rideaux. Les morts se succèdent. Mortimer a été retrouvé comme broyé par un kraken. Le charpentier semble avoir été empoisonné par mille araignées. Depuis quinze jours, le village est devenu un berceau de l’enfer. Pendant ce temps, dans un grenier, une petite fille récite des poèmes morbides au milieu de poupées de porcelaine.

L’enquête piétine. Les mises en scène macabres sont dignes du théâtre de Grand-Guignol. La police est sur les dents. Arrivera le jour où un coupable sera trouvé et pendu. Si les forces de l’ordre veulent rester cartésiennes, il semble pourtant bien que le surnaturel pointe le bout de son nez. C’est l’avis de Gwilym, venu de la ville et qui loge à l’auberge. Lecteur d’Arthur Machen, il aime se promener dans les près au-dessus des falaises. C’est là qu’il va rencontrer la jeune Deryn, étrange petite fille qui l’invite à prendre le thé. Elle considère son invité comme un passeur de fées. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Nous, lecteurs, savons que c’est l’occupante du grenier. Mais quelles sont ses intentions ? A-t-elle un rapport avec toutes ces morts ?

Avec Deryn Du, le but de Guillaume Sorel était de susciter la peur en bande dessinée, peut-être la sensation la plus complexe à retranscrire par ce média. C’était aussi le défi de Luc Brunschwig quand il a écrit L’esprit de Warren à la fin des années 90 avec Servain chez Delcourt. Chacun dans son genre, l’un comme l’autre a réussi son coup. Lorsque Gwilym s’endort avec son livre au pied d’un arbre, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour Alice au pays des merveilles, au tout début de l’histoire de Lewis Carroll. La suite n’est pas à mettre entre les mains des disneyphiles. On quitte très rapidement Carroll pour faire un tour chez Lovecraft et Edgar Allan Poe. Deryn Du s’inspire de la littérature et du cinéma britannique fantastique. Sorel en a eu l’idée après avoir regardé le film Opération peur de Mario Bava. Le projet aura mis vingt ans à se concrétiser. Sorel installe des séquences de calme pour mieux surprendre. Un léger doute est fugace sur du rêve. Le surnaturel se concrétise.

Avec des coups de maître comme Deryn Du, la collection Aire Libre justifie sa raison d’être. Le scénariste maîtrise, le dessinateur crédibilise. Guillaume Sorel en a parcouru du chemin depuis Le fils du grimacier et L’île des morts. Il est de retour au sommet de son art. En postface, il annonce à présent se diriger vers d’autres pistes. On verra ce qu’il va explorer. On ne peut que le saluer d’essayer de nous surprendre encore, mais on sait ce qu’il sait faire de mieux. Deryn Du en est la preuve.
One shot : Deryn Du
Genre : Horreur
Scénario, Dessins & Couleurs : Guillaume Sorel
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
ISBN : 9791034767557
Nombre de pages : 136
Prix : 25 €



