Corbeyran 451
« -Depuis combien…
-Ça fait 20 ans… Tu étais en train de travailler ?
-Plus ou moins… Je rédigeais une sorte de… conclusion… Et toi ? Que fais-tu là ? Pourquoi avoir mis tout ce temps à venir me voir ?
-Tu ne vas pas aimer les réponses, papa… »
Alors qu’il s’apprête à mettre fin à ses jours, on frappe à la porte du philosophe Sergueï Pankow. C’est sa fille Rain qu’il n’a pas vu depuis 20 ans. Alors qu’elle servait en tant que Bienveillante au sein d’une patrouille dans l’une des grandes métropoles du System afin de faire régner l’ordre, elle a été accusée d’avoir participé à des réunions clandestines et reconnue coupable de sédition, puis internée dans un camp de reconditionnement. Elle vient d’être libérée pour bonne conduite…au bout de 20 ans. Elle reproche à son père, l’un des initiateurs du programme portant son nom, de n’avoir jamais cherché à savoir où elle était. Il le savait, mais n’a rien pu faire parce que personne n’est au-dessus du programme. Sergueï a fini par voir le monde tel qu’il est : un théâtre de misère avec des gens sans cervelle dirigés par une élite sans cœur. Aujourd’hui à la retraite, il a été convoqué il y a quelques semaines à un séminaire de réflexion sur la « suppression du facteur humain ». C’est ça qu’il n’a pas supporté, mais à présent, avec le retour de sa fille, les cartes sont rebattues.

Dans ce monde futuriste, les instances gouvernantes souhaitent éliminer complètement les risques d’erreur et d’approximation de l’individu lorsque celui-ci est lié à certaines fonctions du « System ». C’est cela la suppression du facteur humain. Rain apprend à son père qu’elle a eu un enfant qu’elle n’a jamais vu. Dans un premier temps, afin qu’elle retrouve une place dans la société, il la présente à Sorj, un ami à lui du service des insertions. Elle est affectée à la surveillance d’un camp. Un comble pour elle qui passe ainsi de détenue à geôlière. Elle n’a pas le choix. De son côté, Nahia, qui a dit au revoir à sa mère avant d’intégrer une unité de Bienveillantes, effectue sa première patrouille. Lorsqu’elle se retrouve à son tour en reconditionnement, c’est Rain qui est chargée de son admission. Alors qu’elle compatit de la situation de Nahia qu’elle a vécue elle-même quelques années plus tôt, Rain ne se doute pas qu’elle se met face à de nouveaux ennuis.

Les Furies sont des personnages de la mythologie grecque chargées de faire respecter la loi et d’appliquer les sanctions. Ici, ce sont des Bienveillantes. Sergueï Pankow, l’un des hommes à l’origine du système, vient de se rendre compte qu’il a été dépassé par le phénomène. Alors qu’il avait imaginé son concept pour faire de l’homme un être d’exception doté d’un esprit supérieur, il a compris que le pouvoir vicieux s’en est emparé pour agir sur la pensée comme un rouleau compresseur. Il broie et annihile la conscience faisant de l’individu un robot agissant. Aucune place n’est accordée à la poésie dans le programme Pankow. C’est donc par son truchement que s’organise la rébellion. Les poèmes de Percy Shelley permettront-ils à l’humain de retrouver sa condition ?
Après Ray Bradbury et son Farenheit 451, Corbeyran livre une vision pessimiste du monde de demain. Mais rien n’est jamais complètement noir dans les récits de Corbeyran. Il y a toujours une lumière à l’horizon, mais il est parfois bien difficile d’en percevoir la lueur. On l’a vu l’année dernière dans Les yeux doux. Dans un style plus réaliste, on le voit ici dans Furies. Le dessin sérieux et volontairement rigide de Munch apporte une implacabilité aux événements. La perception aurait été très différente mais tout aussi puissante avec le dessin d’un Michel Colline. Dans un monde idéal, qu’est-ce qu’il aurait été intéressant de lire la même histoire dans deux traitements graphiques opposés. Dans ce premier volume, l’embourbement de la situation est confirmé par le ciel sans soleil et les couleurs sombres de Sayago.

Avec Furies, Corbeyran porte un regard acerbe sur la politique du monde. Fable futuriste et teintée d’espoir, la série donne à réfléchir sur la notion de libre arbitre et de connaissance de soi, et paradoxalement sans prise de tête dans une BD d’aventure et d’action.
Série : Furies
Tome : 1 – Le facteur humain
Genre : Anticipation
Scénario : Corbeyran
Dessins : Munch
Couleurs : Sayago
Éditeur : Kalopsia
ISBN : 9782931205211
Nombre de pages : 64
Prix : 16,90 €



