Une œuvre qui traverse le temps
« Auteur d’une œuvre entièrement publiée dans des journaux pour enfants, à une époque où la bande dessinée ne jouissait d’aucune reconnaissance, quand elle n’était pas accusée de pervertir la jeunesse, Georges Remi, dit Hergé, est pourtant considéré comme l’un des créateurs majeurs du XXème siècle. Dès 1963, l’écrivain Pierre Ajame proclamait que ses albums « fontdésormais partie du patrimoine occidental ». »(Thierry Groensteen)
On ne compte plus les ouvrages consacrés à Tintin et à Hergé. A une époque, il y avait plus de livres traitant du sujet que de toutes les autres bandes dessinées réunies. De Tintinolatrie d’Albert Algoud à la biographie minutieuse de Philippe Goddin, du Monde d’Hergé de Benoît Peeters au Mystère Tintin de Renaud Nattiez, en passant par les excellents bouquins de la collection Zoom sur Hergé rebaptisée 1000 sabords chez Sépia, il y a de quoi constituer une véritable bibliothèque. La Bibliographie d’un mythe d’Olivier Roche les recense. Il manquait peut-être un résumé concis et précis de la carrière du créateur Hergé et de sa créature Tintin. C’est chose faite dans l’emblématique collection Que sais-je ? et c’est signé par l’exégète Thierry Groensteen.

L’histoire, ou plutôt l’Aventure, avec un A majuscule, commence en 1929, quand un jeune autodidacte à l’esprit très boy-scout du nom de George Remi publie dans le Petit Vingtième les premières pages de Tintin au pays des Soviets. Sous la coupe de l’abbé Wallez, Hergé fait voyager son reporter à travers le monde. Thierry Groensteen retrace en 33 pages la carrière de l’auteur. On assiste à sa rencontre avec Tchang, à la scission avec Wallez, écarté par Casterman, à la naissance du journal Tintin, à la vie des studios, tout en participant à sa vie privée.
Le deuxième chapitre montre comment l’œuvre d’Hergé s’inscrit dans l’histoire de la bande dessinée. La majeure partie des précurseurs du papa de Tintin sont d’illustres inconnus des profanes. Benjamin Rabier, Alain Saint-Ogan, George McManus sont les rares à avoir traversé les générations. Groensteen raconte comment Hergé a bâti les bases de la ligne claire, entouré de collaborateurs comme Jacobs, et est devenu un chef de file de la bande dessinée franco-belge au milieu de la rivalité des hebdomadaires Tintin et Spirou. L’auteur de l’essai pose ensuite deux questions. Hergé était-il un précurseur du « roman graphique », appellation qui ne veut rien dire et d’un snobisme destiné à faire lire de la BD à ceux pour qui cet art est trop populaire ? La seconde interrogation est plus judicieuse : l’œuvre est-elle intemporelle ? L’éternité se gagne avec conditions. La réponse viendra du journaliste Gérard Lefort. On vous la laisse découvrir dans l’essai.

Le chapitre 3 analyse les ressorts du classique. Thierry Groensteen définit quatre qualités éminentes qui font la grandeur du monde de Tintin. Hergé a écrit une comédie humaine aux personnages secondaires puissants. L’humour et l’aventure cohabitent dans une harmonie hors du commun. L’œuvre contient une part obscure qui va au-delà de la réputation aseptisée que peuvent lui faire ses détracteurs. Hergé y exprime ses obsessions et ses angoisses. Qui ne le sait pas n’a jamais lu L’étoile mystérieuse ou Tintin au Tibet. Enfin, les aventures de Tintin sont un miroir du siècle qui s’inspirent du réel en s’autorisant toutes transpositions. Hergé joue avec le « vrai-faux réel ». Tintin a bien marché sur la lune avant Neil Armstrong.
Dans le dernier chapitre, Groensteen montre comment l’œuvre est passée au statut de mythe. Hergé est passé par des accusations de colonialisme et de collaborationnisme avant d’être réhabilité après sa mort. On poursuit avec les différentes adaptations, les parodies, puis la place des originaux sur le marché de l’art, dont le point d’orgue a été la vente d’une esquisse pour la couverture du Lotus bleu qui a atteint 3,2 millions d’euros en 2021. Après un état des lieux de la tintinologie, Groensteen ne se pose des questions mais fait un état des lieux objectif de la gestion de l’héritage.

Quatre millions d’albums de Hergé sont vendus chaque année à travers le monde. Qu’on le veuille ou non, l’œuvre est fondatrice. Reste à savoir ce qu’il se passera le 1er janvier 1954 lorsqueTintin tombera dans le domaine public. En attendant, quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
Série : Que sais-je ?
Tome : 4297 -Hergé
Genre : Reportage
Auteur : Thierry Groensteen
Éditeur : Que sais-je ?/Humensis
Nombre de pages : 128
Prix : 10 €



