Voyage au bout de l’inuite
« Aya Aya ! La nuit est tombée. Nous avons marché. La banquise s’est brisée. Aya Aya ! J’avais une fille. L’eau a ouvert sa bouche pour me l’enlever. Elle est seule avec une dent d’ours et quelques chiens. Je n’entends plus ses pas. Je ne vois pas son chemin. Ce matin, la banquise m’a parlé. Bientôt, bientôt, le jour va se lever et dans une poche de nuit elle va trouver quelqu’un à qui parler et tout oublier. En attendant, nous sommes toujours son père. Nous sommes toujours sa mère. Nous sommes toujours sa sœur et son frère. Aya Aya ! On se retrouvera plus tard un jour, au fond de l’eau au royaume de Sedna. Aya Aya. »
Dans un chant du père, l’inuit raconte comment une banquise brisée a séparé sa fille du reste de la famille. Uqsuralik a vu son destin emporté par la fracture subite de la glace. La dérive du bloc sur lequel elle s’est retrouvée isolée allait la séparer des siens pour l’amener vers d’autres rives, faire d’autres rencontres, vivre une autre vie que celle qui lui était écrite. Ce n’est que quelques heures plus tard que la jeune esquimaude allait s’apercevoir qu’un groupe de chien endormis sous la neige était dans la même galère qu’elle. Ils vont marcher ensemble dans le froid et la lumière des astres, jusqu’à rejoindre un groupe composé de trois familles ayant quitté un grand campement d’hiver après les fêtes du solstice car leurs réserves de nourriture étaient épuisées. Nouvelle vie, nouvel avenir. Nouveaux drames et nouvelles joies. La vie d’Uqsuralik va s’écrire au fil des saisons et des ans.

Récompensé du prix du roman Fnac, De pierre et d’os est un roman paru en 2019 aux éditions du Tripode. Son autrice, Bérengère Cournut, l’a écrit alors qu’elle effectuait une résidence littéraire de dix mois au Muséum National d’Histoire Naturelle. Elle signe une fiction ethnologique montrant les traditions et les modes de vie des populations arctiques. Elle s’est essentiellement inspiré des inuits d’Ammassalik. Aidée par Joëlle Robert-Lamblin, une anthropologue spécialiste des populations arctiques et des cultures du Groënland, l’écrivaine s’est mise dans la peau de cette jeune femme prise dans le tourbillon d’une vie, au rythme de la nature sauvage. Pour autant, jamais l’époque n’est précisée, comme pour laisser une distance, une intimité, une universalité au voyage d’Uqsuralik.

On n’attendait pas Jean-Paul Krassinsky dans une telle aventure. Le dessinateur à la bibliographie plutôt railleuse et acide adapte un roman âpre, réaliste et émouvant. Quatre ans de travail lui auront été nécessaires pour s’approprier la vie d’Uqsuralik. Il n’avait jamais effectué un tel type de voyage émotionnel, une telle expérience narrative. Il a gardé de nombreux passages du texte original, s’imposant des textes narratifs. Il a conservé les monologues de l’héroïne qui lient les séquences entre elles. Il a dessiné les goûts, les odeurs et les bruits d’une civilisation à la fois si proche et si lointaine de la nôtre. Si son graphisme a pris un virage réaliste, l’aquarelle lui permet d’apporter un contraste, des suggestions, des textures et des ambiances, afin d’équivaloir aux vibrations du texte du roman.

Le peuple préhistorique a eu sa Guerre du feu, grâce au roman immersif de Rosny-Aîné. Le peuple inuit a son De pierre et d’os, grâce à Bérengère Cournut, qui, de la même manière, raconte l’aventure humaine d’une époque et d’un lieu. Jean-Paul Krassinsky lui donne le plus bel habillage qui soit.
One shot : De pierre et d’os
Genre : Drame
Scénario, Dessins & Couleurs : Jean-Paul Krassinsky
D’après : Bérengère Cournut
Éditeur : Dupuis
Collection : Aire Libre
ISBN : 9791034767069
Nombre de pages : 208
Prix : 28 €