Absurde, n’est-il pas ?
« -Alors comme ça, on va dîner avec Brunilda ?
-Euhhh…
-Hmmm… T’es pas du genre à parler pour rien dire toi, hein ? Je me demande ce que Brunilda peut bien te trouver. Qu’est-ce donc ? Ne t’inquiète pas, Brunilda est une fille charmante, tout se passera bien. »
Un couple se donne rendez-vous pour dîner. Ils prévoient de se rendre pour 21 h à la Plata. L’homme n’en revient pas de la proposition que lui a faite son amie, car c’est elle qui a pris l’initiative. Cette amie, c’est Brunilda. Qu’est-ce qu’elle peut bien lui trouver ? Lui, c’est Norman. Deux hommes et une femme le mettent en garde. Brunilda est gentille mais elle n’aime pas ceux qui font la fine bouche, tout comme le dramaturge qui les empêche de sortir d’ici. Ce dernier vit une période difficile. Il s’est enfermé pour écrire un chef-d’œuvre et se promène avec sa frustration. Le trio participe à son délire. De nombreux décors qui ne serviront jamais sont confectionnés. Est-ce bien raisonnable d’y prendre part ? On va aller voir ce qu’il se passe. Ça fait trois jours qu’un acteur répète son monologue.

Un type invité à manger se retrouve dans les coulisses d’une création théâtrale. Surréaliste ! Et bien oui. Norman est obligé de sortir par la porte Est du théâtre pour aller à la Plata et on est loin du dernier acte. L’auteur de la pièce est perdu dans les affres de la création. Il n’a pas fini de l’écrire alors qu’elle commence à être joué devant du public. La conscience du dramaturge est bien obligée de prendre les choses en main. Norman aussi va essayer de pousser le destin pour tenter d’arriver à l’heure à son rendez-vous. L’inspiration est en manque, la page blanche dicte sa loi stressante pour le créateur.

Avec Brunilda à la Plata, Genis Rigol rend hommage à la bande dessinée de la fin du XIXème et du tout début du XXème siècles tout autant qu’au théâtre de l’absurde. Ses personnages se déplacent à la manière de ceux de Winsor McCay. D’ailleurs, Rigol précise que l’histoire est issue d’un rêve qu’il a fait. La boucle est bouclée. Rigol est Little Nemo. Little Nemo est Norman. Norman est Rigol. Certaines planches sont également découpées comme celles du précurseur. Rigol varie les compositions, les géométrise parfois. Il change plusieurs fois de style graphique. Les flashbacks du dramaturge sont dans un pur noir et blanc hachuré. Les rares tons de couleurs jaunies donnent un livre hors du temps, comme s’il était impossible de savoir à quelle époque il avait été publié.
Rigol a lu ou vu des pièces de Ionesco et Beckett. Brunilda est son Godot… ou presque, parce que si Godot, on ne le voit jamais, Brunilda est bel et bien présente au tout début du récit, même si un phylactère cache son visage.

Vous pensiez qu’on ne pouvait pas faire du Ionesco en bande dessinée ? On lui avait peut-être dit que c’était impossible, alors il l’a fait, avec sa propre histoire. Genis Rigol réalise l’ovni de l’année, transcendant l’art de la BD dans une composition scénaristique et graphique qui laisse admiratif.
One shot : Brunilda à la Plata
Genre : Absurde
Scénario, Dessins & Couleurs : Genis Rigol
Éditeur : Payot & Rivages
Collection : Virages graphiques
ISBN : 9782743666170
Nombre de pages : 144
Prix : 23 €