La rafle désarçonnée
« -Quand l’avez-vous appris ?
-Tout à l’heure. Au détour d’un couloir. L’opération doit rester secrète. Après le Vél d’Hiv, Vichy va maintenant livrer les juifs étrangers de la zone libre. C’est le préfet Angeli qui est chargé d’organiser la rafle de la région de Lyon dans les dix départements dont il a la charge. Je demande solennellement l’aide de l’amitié chrétienne.
-Vous l’aurez. Les enfants sont-ils concernés ?
-J’en ai peur. Mais il est question d’un télégramme officiel, qui doit préciser une liste d’exemptions. Je vais me le procurer et vous ferai parvenir cette liste dès que possible, demain sans doute. »
5 août 1942, presbytère de Notre-Dame-Saint-Alban, 8ème arrondissement de Lyon. L’Abbé Alexandre Glasberg reçoit la visite de Gilbert Lesage, chef du service social des étrangers de Vichy, un humaniste et résistant. Ce dernier demande solennellement l’aide de l’amitié chrétienne car Vichy s’apprête à livrer les juifs étrangers de la zone libre. Une liste d’exemptions va peut-être permettre d’en sauver quelques-uns. L’obsession administrative du régime pourrait se retourner contre lui en ouvrant une faille. C’est cette faille que l’Abbé Glasberg va tenter de creuser. La rafle est imminente. Les personnes arrêtées seront internées dans la banlieue de Lyon, au camp de Vénissieux, afin d’y être triées, puis déportées ou libérées. Il va donc falloir jouer sur les exemptions.

Le bureau de l’OSE (Œuvre de secours aux enfants juifs) s’organise. Charles Lederman, fondateur du bureau, expose la liste des exemptions. L’objectif est de faire sortir légalement le plus d’internés possible, ceux arrêtés par erreur et, pour les autres, en « jouant » sur ces exemptions. Ne sont donc pas concernés par la rafle : les individus ayant servi dans l’armée française ou ex-alliée, ainsi que leurs familles, ceux qui ont des enfants ou un conjoint français, les intransportables, les vieillards de plus de soixante ans, les femmes enceintes, les parents d’enfant de moins de cinq ans, ceux incorporés dans un groupement de travailleurs, les artistes, auteurs et scientifiques, ainsi que, et c’est là que va se trouver le principal levier, les enfants de moins de dix-huit ans non accompagnés. Le premier objectif est de faire exempter les familles entières. Si ça ne marche pas, il faudra convaincre les parents d’abandonner leurs enfants pour les faire entrer dans la catégorie des mineurs non accompagnés.

L’historienne Valérie Portheret a mené une enquête de vingt-cinq ans pour reconstituer le sauvetage des enfants du camp de Vénissieux grâce à de nombreux témoignages. Arnaud Le Gouëfflec et Olivier Balez adaptent son livre qui raconte la chaîne de solidarité qui s’est mise en place entre le 26 et la nuit du 28 au 29 août 1942 pour faire sortir 108 enfants du camp. Cette relecture par le prisme de la bande dessinée permet ainsi de toucher de nouvelles générations et de rentrer dans les écoles. Aux enseignants de s’en emparer. La résistance sans arme a fait mettre un genou à terre au régime nazi en le prenant à son propre piège des contraintes administratives. Les auteurs signent un quasi-huis clos, sombre dans le fond et dans la forme. La mise en abime du prêtre dans la paperasse administrative est une composition magistrale, tout comme ses travaux de couture où le cosaque géant déambule en broderie.

Valérie Portheret en personne signe la préface et le large dossier historique final de ce vibrant témoignage historique. Vous n’aurez pas les enfants raconte l’un des plus grands coups d’éclats de la résistance française. On entre au cœur de destins de familles qui vont se séparer en sachant pertinemment qu’ils ne seront jamais réunis à nouveau. L’album est artistiquement puissant et l’histoire à la force de celle de La liste de Schindler. Un des indispensables de l’année.
One shot : Vous n’aurez pas les enfants
Genre : Histoire
Scénario : Arnaud Le Gouëfflec
Dessins & Couleurs : Olivier Balez
D’après : Valérie Portheret
Editeur : Glénat
Collection : 1000 feuilles
ISBN : 978244055489
Nombre de pages : 152
Prix : 24 €