Au beau milieu de la tache
« -Nom, prénom, profession.
-Marie-Hélène Veil. J’étais étudiante.
-Bist du Jüdin ?
-Es-tu juive ?
-Oui.
-Où sont les autres de ta famille ?
-Je l’ignore.
(…)
-Ecoute-moi bien. Demain matin, tu seras de nouveau interrogée. Si tu ne nous dis pas où est tont père, tu seras fusillée. Emmenez-là à la Gestapo, cours Berriat. »
Paris, Janvier 2022, Mylaine, 99 ans, attend sa nièce Marion. Le thé va être froid. Le temps est maussade. Ah ! Voici la jeune femme qui arrive. Marion est venue avec son carnet de notes et un enregistreur. Mylaine va répondre aux questions sur son petit tour d’Europe… dans les années 40. Elle répond toujours aux questions, mais elle ne souhaite pas être dans la BD. Les petits illustrés, elle ne sait même pas comment on les lit, mais elle veut que les jeunes entendent que ça a existé. Mylaine a grandi à Blâmont en Lorraine, où son père dirigeait une usine de fabrication de textiles. Elle faisait du scoutisme. Elle a passé son bac en 1939. Son père mobilisé, la famille a fui en zone libre où elle a passé une licence de droit. Elle s’est fiancée avec Robert à vingt ans en 42. A partir de 43, la famille se cache sous une fausse identité dans une petite maison de montagne à Sarcenas…jusqu’à ce jour fatidique de février 1944 où une patrouille allemande toqua à la porte. Seule à la maison avec sa sœur Lisou, Mylaine parvient à sauver sa cadette, mais, elle, est embarquée par les nazis.

Le cauchemar n’allait faire que commencer. Après avoir été tabassée en bonne et due forme, Mylaine est déportée à Drancy. Comme ses compagnons d’infortune, elle pensait qu’elle allait travailler dur, qu’ils seraient mal nourris et mal traités, mais ce qu’ils allaient découvrir, ça, non… Le 7 mars 1944, Mylaine partait à bord du convoi 69 pour Auschwitz-Birkenau, en Pologne occupée, avec mille cinq cents autres déportés. Tête rasée, bras tatoué, il allait en falloir du courage afin que jamais les crépuscules ne vainquent les aurores. Les rations de biafrais, les nuits glaciales et les jours pas bien plus chauds, les odeurs d’excréments et surtout celle des corps brûlés dans les fours crématoires, il y a des choses qui ne peuvent être résiliées… et surtout que les générations futures doivent se rappeler pour tirer les leçons de l’Histoire.

« Quand la nuit tombe » est un diptyque témoignage, l’histoire de deux sœurs séparées par la guerre, qui ont chacune vécu le drame par un prisme différent. Il n’y a pas d’échelle de la douleur. Mais s’il y en avait une, Lisou et surtout Mylaine seraient montées tout en haut. Elles ont toutes les deux survécu à l’horreur. Aujourd’hui, elles témoignent sous la plume de leur petite-nièce Marion Achard, contribuant ainsi, au même titre que Madeleine Riffaut ou Ginette Kolinka, à l’indispensable devoir de mémoire. A la manière de David Evrard dans Irena et Simone, le graphisme de Toni Galmès adoucit l’ambiance pour un contre-pied qui rend les événements encore plus dramatiquement puissants. La postface présente les membres de la famille Weill et les gens qu’ils ont croisé, ainsi que les criminels de guerre responsables de leur situation. De nombreux documents d’époque, photos, lettres et télégrammes, donnent encore plus de véracité et d’émotion à l’histoire. Et quelle est sublime cette photo de Lisou et Mylaine qui rient ensemble en septembre 2024. Quelle incroyable leçon de vie que donnent ces dames !

Il est impossible de compter tous les albums de bande dessinée consacrés à la Seconde Guerre Mondiale. Si cette année, il ne fallait en retenir qu’un (mais il ne faut pas, tous sont indispensables) ce serait peut-être ce second tome de Quand la nuit tombe…afin que le soleil ne se couche plus.
Série : Quand la nuit tombe
Tome : 2 – Mylaine
Genre : Histoire
Scénario : Marion Achard
Dessins & Couleurs : Toni Galmés
Éditeur : Delcourt
Collection : Histoire et histoires
ISBN : 9782413077664
Nombre de pages : 160
Prix : 20,50 €