L’homme derrière le Lotus
« C’était un homme très doux, très amical. Pendant huit mois et demi, je suis venu raconter la Chine à Hergé tous les dimanches. Il trouvait certaines de mes anecdotes très intéressantes. Nous faisions de grandes promenades à Bruxelles… Et nous sommes devenus amis… » (Tchang Tchong-Jen)
« Moi, Tchang Tchong-Jen… Mais… pourquoi m’as-tu sauvé la vie ?… » Nous sommes en 1936 dans Le Lotus Bleu, cinquième aventure de Tintin. Le reporter au Petit Vingtième vient de sauver un jeune chinois de la noyade. Ce que le lecteur de l’époque ignore, c’est que ce rescapé existe bel et bien. En effet, quelques mois plus tôt, Hergé a rencontré un étudiant chinois qui, pendant plusieurs mois, lui a raconté la Chine. Comment la vie a mis ces deux artistes sur la même route ? On connaît tous les grandes lignes de la vie de Hergé, mais quelle fut celle de Tchang Tchong-Jen ? Avec la participation de sa fille Tchang Yifei, Dominique Maricq retrace le parcours de cet homme hors du commun.

© Hergé/Tintinimaginatio 2024
Avant « Le Lotus », les chinois étaient représentés de façon caricaturale dans les aventures de Tintin. Chez les Soviets, ce sont des bourreaux. En Amérique, ils sont décrits comme friands de petits chiens. Pour sa nouvelle histoire, Hergé est bien décidé à se documenter sérieusement.
Zhang Shaofu est sculpteur sur bois. Son fils Tchang est sensibilisé dès son plus jeune âge à la beauté et à l’équilibre dans la création artistique. En 1927, à 20 ans, il boucle avec succès sa sixième année d’études pour apprendre l’art et la technique de la photographie. L’année suivante, il travaille pour un magazine spécialisé dans l’art contemporain. En parallèle, il donne des cours particuliers de dessin à des enfants de familles aisées. En 1931, grâce à une bourse et la bienveillance d’une certaine Madame Tan, il part pour un séjour en Europe afin d’étudier les Beaux-Arts à l’Académie royale de Bruxelles et de s’imprégner de culture artistique occidentale. En 1934 et en 1935, il obtiendra le Premier Prix de sculpture de la ville de Bruxelles.

© Hergé/Tintinimaginatio 2024
En 32, afin d’obtenir des renseignements pour les futures aventures de Tintin, sur les conseils de l’Abbé Gosset, Hergé écrit à ce jeune étudiant chinois arrivé quelques mois plus tôt en Belgique. Un mois plus tard, Tchang lui répond. Ayant compris que la bande dessinée n’était pas une simple distraction et ayant découvert la notoriété de son interlocuteur, Tchang se montre intéressé par ce projet qui lui permettrait d’exposer la réalité tragique de la situation politique de son pays et de montrer le vrai visage des japonais. Si ces derniers se fâchent, c’est que c’est la vérité. Face aux réticences de l’Abbé Wallez, Hergé tient bon. Comme le dit Tchang : « La liberté d’expression pour les artistes et les écrivains est affaire de responsabilité. » Tchang est le complice d’une histoire dans l’histoire, la parsemant de références aux mœurs et coutumes chinoises, anecdotes savoureuses, clins d’œil appuyés. Quant à la couleur du Lotus, le bleu, elle n’existe pas. C’est Hergé qui l’a inventée pour désigner la fumerie d’opium.

© Hergé/Tintinimaginatio 2024
La collaboration des deux artistes sur Le Lotus Bleu n’est qu’une partie de ce livre qui s’attarde également sur les années de Tchang à son retour en Chine en 1936, une improbable histoire de tableau volé, les années Mao, ses succès dans la sculpture, puis, évidemment les retrouvailles en 1981, quarante-sept ans après la première rencontre avec Hergé, avant de se terminer sur les dernières années du sculpteur en France. Apportant un éclairage inédit sur la carrière de Tchang Tchong-Jen et son apport à l’œuvre de Hergé, cette biographie invite à se replonger dans Le Lotus Bleu, car, quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
Titre : Tchang Tchong-Jen Artiste voyageur
Genre : Biographie
Auteurs : Dominique Maricq & Tchang Yifei
Éditeur : Moulinsart / Casterman
ISBN : 9782203293144
Nombre de pages : 190
Prix : 25 €