Un fusil bien convoité
« -Rien, Sam ! Hmmm… Et visiblement, on a bien regardé !
-Il a parlé ?
-Ouais, même si y’a un moment où j’ai cru qu’il était muet, le coyote ! Un frère et une sœur manquent au troupeau, Sam !
-Et ils ne sont pas ici ! Oui, forcément, ils ne sont pas ici !
-On n’a plus qu’à mettre la main sur celui des deux qui a le fusil !
-Et eux ?
-On respecte la tradition, c’est la mort qui fait son tri, Hox, pas nous ! »
Dans la quasi-indifférence de sa famille, sauf peut-être celle de sa sœur, Gunthrie vient de quitter sa ferme du Nevada pour répondre à l’appel du Wyoming. Son père, Theodore Oldhabit, est mort à Little Big Horn, comme un soldat, pas comme un héros. Gunthrie va porter dans sa tombe son fusil fétiche, dont la crosse est ornée d’une gravure de son portrait réalisée par Annie Oakley. A peine parti, un groupe de quatre hommes débarque à la ferme, massacrant sa mère et ses frères. Sa sœur n’était plus là. Ils recherchent le fusil. Poursuivi par les mercenaires, protégé par l’œil bienveillant de sa sœur, Gunthrie trouvera-t-il la sépulture de son père ? A moins qu’un coup de théâtre ne rebatte les cartes.

Gunthrie est un héros très discret. La série aurait pu s’intituler ainsi si ce n’avait pas été déjà pris. Le personnage est très peu loquace. On peut dénombrer ses prises de parole. Derrière lui, c’est sa sœur cadette Joe qui supervise la situation. Les méchants ne sont pas des bandits d’opérette. On tue, on éventre, on plante, sans aucun état d’âme. Gunthrie reste lui-même très froid. On doit presque se forcer pour avoir de l’empathie pour lui. Comme Joe, on a envie d’apporter de l’humanité dans la vie désabusée de Gunthrie. L’aventure est aussi une histoire de famille, une famille déstructurée, qui aurait pu être modèle avant que le père ne parte au combat, événement qui a chamboulé les rapports entre les enfants entre eux et avec leur mère.

Quand un dessinateur réaliste tous publics s’associe avec l’un des piliers de l’humour classique et l’un des spécialistes de l’ambiance de l’ouest américain, ça donne un album inattendu. Christophe Cazenove, scénariste des Sisters et des Petits mythos, change son fusil d’épaule. C’est le cas de le dire. Il écrit un western sombre. Une histoire de famille, d’escroquerie et de vengeance. Pour que la marche ne soit pas trop haute à gravir, c’est l’auteur de Léo Loden qui est au dessin. Dans son réalisme souple, le trait de Serge Carrère adoucit, si l’on peut adoucir cette histoire, la tournure violente de l’aventure. Et quoi de mieux que les couleurs de Jérôme Maffre, plus qu’habitué au western (et dans western, il y a Stern), pour empoussiérer le récit déjà obscurci par des ombres noires appuyant la dramatisation.

C’est un sacré pari pour de tels auteurs que de se lancer dans ce type de récit. L’album est sorti il y a quelques mois déjà et est passé injustement inaperçu. Il aurait été judicieux de la part de l’éditeur de mieux mettre cette prise de risque en avant, car elle donne un western tragique et sans concession, impitoyable.
Série : Gunthrie
Tome : 1 – Little Anny
Genre : Western
Scénario : Christophe Cazenove
Dessins : Serge Carrère
Couleurs : Jérôme Maffre
Éditeur : Soleil
ISBN : 9782302094062
Nombre de pages : 48
Prix : 14,95 €