One drop rule
« -Grand-mère n’y comprend rien !!!
-Belle, je ne te permets pas !
-Mais c’est vrai, maman ! C’est notre unique chance d’évoluer et de vivre décemment !
-Tu es excessive, Belle ! Et puis grand-mère a raison, vous n’imaginez pas tous les sacrifices que cela engendre…
-Nous en sommes parfaitement conscients… »
New York, 1898. Une jeune femme achète un livre chez Tillmans book & Art shop. C’est une vieille édition de 1852. Belle Greener, c’est ainsi qu’elle se nomme, la cherchait depuis longtemps. Dans le bus qui la ramène chez elle, elle assiste à l’expulsion d’une demoiselle noire par le chauffeur. Ça la bouleverse. Elle-même a du sang noir, mais ça ne se voit pas sur son visage halé. La règle de la goutte unique est claire : un seul ancêtre noir, une seule goutte de sang noir, vous classifie comme nègre dans les registres. Découvert, c’est au mieux la prison, au pire le lynchage. Contre l’avis de leur grand-mère, Belle et ses frères et sœurs sont bien décidés à dissimuler leur généalogie, tout en faisant le serment de ne pas avoir d’enfants, pour ne pas leur imposer leur choix. La famille s’invente des ancêtres portugais et se rebaptise Da Costa Greene.

Renier ses origines pour se déclarer blanc, la décision n’est pas facile à prendre. Est-ce trahir les siens que de se ranger dans la classe de l’oppresseur ? Belle voit dans ce « passing » le seul moyen pour se faire une place dans la haute société new-yorkaise. Sa passion, ce sont les livres. Elle adore les ouvrir, les sentir, admirer leurs enluminures et évidemment les lire. Belle devient bibliothécaire à l’université de Princeton. Fin 1905, recommandée par Junius Morgan quelques semaines plus tôt, la Morgan Library de New-York l’engage. Belle Greene vit un rêve éveillé. Il s’agit à présent de gérer la collection privée de livres anciens et d’œuvres d’art de John Pierpont Morgan, l’oncle de son futur ancien patron. Elle est loin de se douter jusqu’où cela va la mener. Ce n’est pas parce qu’elle a fait une promesse que Belle ne connaîtra pas d’histoire d’amour, amour charnel et amour familial. Là encore, le destin va bouleverser son avenir.

Nicolas Antona raconte la vie méconnue de Belle Greene, et à travers elle celle de la condition africaine dans une Amérique qui veut se construire dans une élite blanche. La « one drop rule » était la règle qui qualifiait de noire toute personne ayant une trace visuellement perceptible d’ascendance africaine. C’est pour justifier son teint qui pourrait la trahir que Belle s’est choisie des ancêtres de Lusitanie. Antona accompagne la bibliothécaire dans sa trajectoire de vie, son choix assumé, et son amour des livres, car l’amour des livres est aussi un sujet primordial de celui-ci. Aux dessins et aux couleurs, habituée aux biographies puisqu’elle a déjà plongé dans les vies d’Agatha Christie et de George Sand, Nina Jacqmin apporte toute sa délicatesse à celle-ci.
Ne ratez pas le texte en post-face qui conclue véritablement l’album, avant un dossier historique dénonçant le racisme et les inégalités de l’époque.

Le secret de Miss Greene prouve que la bande dessinée a infiniment à apporter dans le devoir de mémoire. La vie de Belle est passionnante dans tous les sens du terme et relance le débat sur la question du choix de son propre destin, au risque d’une certaine forme de trahison, parce qu’il faut un courage extrême pour assumer certaines décisions.
One shot : Le secret de Miss Greene
Genre : Biopic
Scénario : Nicolas Antona
Dessins & Couleurs : Nina Jacqmin
Éditeur : Le Lombard
ISBN : 9782808214018
Nombre de pages : 152
Prix : 22,95 €