Dialogues avec mon prisonnier
« -Lydia ?
-Je vois que la mémoire vous revient, commandant !
-Lydia, pourquoi m’avez-vous enfermé là-dedans ? C’est quoi, ce jeu ? La plaisanterie a assez duré, Lydia ! Alors, vous allez ouvrir cette grille et… Et où est mon flingue, d’abord ?
-Votre arme est entre mes mains, désormais. Tout comme votre vie… »
Un homme se réveille enfermé dans une cellule au sous-sol d’une maison. C’est Benoît Lorand, un flic. Il a été désarmé et démuni de son téléphone. Sa soirée de la veille lui revient petit à petit. Une conquête dans un bar qui l’amène chez elle, une soirée emballée, … Comment se fait-il qu’il se retrouve ainsi prisonnier ? Sa geôlière tarde à lui donner des explications. Ce qu’elle veut, c’est le regarder mourir. Pendant ce temps, au commissariat central de Besançon, on s’inquiète de la disparition du collègue. Djamila est chargée de l’enquête. Elle part interroger Gaëlle, l’épouse du disparu. Elle connaît les frasques nocturnes de son mari mais n’a jamais souhaité divorcer. Ils ont un fils de trois ans.

Voici un univers polar où les flics ont autant de parts d’ombre que les malfrats qu’ils ont l’habitude de traquer et de mettre sous les verrous. Si Benoît Lorand est porté sur l’alcool et les femmes, son supérieur a le vice du jeu. Il est prêt à utiliser des moyens illicites pour renflouer ses dettes et continuer à jouer à crédit. Son statut donne confiance. De l’autre côté, Lydia n’a pas l’apparence d’une kidnappeuse. Elle est psychologiquement perturbée et se rend régulièrement chez sa psy. Elle a un rapport complexe avec sa mère qui la pense folle. Au fil de ses rendez-vous et de ses joutes verbales avec son prisonnier, Lydia va dévoiler son vrai visage et justifier ses agissements.

Après l’exceptionnelle saga historico-humaine Visages ceux que nous sommes, le scénariste Miceal Beausang-O’Griafa adapte le polar sombre de Karine Giébel. Quasi huis-clos dans le sous-sol d’une maison, il réussit à faire monter la tension crescendo, notamment par ses talents de dialoguiste. Le roman a ceci de passionnant que les rôles de victime et de bourreau sont poreux. Au fil de l’histoire, les empathies pour les personnages changent de camp. La prestation est difficile à jouer. Pour y parvenir, les adaptateurs se transforment en metteurs en scène de théâtre. Dans un graphisme réaliste très charbonneux, avec de forts aplats noirs, Xavier Delaporte pose une tension palpable. On pourrait parfois se croire dans un roman-photo, avec tout le respect que l’on doit au genre, permettant de rentrer au plus près dans la tête des personnages. Greg Lofé complète le dessin par ses couleurs, même sombres quand elles sont claires, en parfaite adéquation avec cette histoire qui aurait pu faire partie de la mythique collection Série noire. Référence plus récente, on ne peut s’empêcher de penser à Joe Goldberg, l’assassin à la cage de verre de la série You, elle-même adaptée du roman Parfaite de Caroline Kepnes. Mais le livre de Giébel est plus ancien ; il date de 2007. Serait-ce lui qui aurait inspiré l’autre ? Ceci est une autre histoire.

Rien n’est manichéen dans Les morsures de l’ombre. Tout est machiavélique. Ce best-seller du polar trouve dans la bande dessinée un écrin qui le met en valeur.
One shot : Les morsures de l’ombre
Genre : Thriller/Polar
Scénario : Miceal Beausang-O’Griafa
D’après : Karine Giébel
Dessins : Xavier Delaporte
Couleurs : Greg Lofé
Éditeur : Philéas
ISBN : 9782491467890
Nombre de pages : 96
Prix : 19,90 €