Nouveau monde
« -Qu’est-ce donc que l’amour ?
-Une maladie à laquelle l’homme est sujet à tout âge.
-C’est joli, Madame de Féranville. Est-ce de vous ?
-D’un certain chevalier de Seingalt, un italien des plus charmants que présenta ce cher Patu.
-Eh bien moi, je dis que l’amour est un mécanisme. »
Juillet 1752, lors d’une fête galante chez Madame de Féranville, ce séducteur de Chevalier de Saint-Sauveur se positionne en horloger de l’amour dont les engrenages se nomment « désir », « orgueil » et « faiblesse ». Il lui sied de connaître ce dispositif pour ravir le cœur de qui lui plaît… ou jeter n’importe qui dans les bras de n’importe quoi. Ça, c’était il y a un an déjà, mais le Comte de Mirepoix s’en souvient. Aujourd’hui, ce dernier propose à Saint-Sauveur une mission en échange de l’effacement de ses dettes de jeux. Mirepoix hait le marquis d’Archambaud. Le chevalier en partance pour les Amériques avec la famille de son ennemi, le Comte lui demande de précipiter Mademoiselle d’Archambaud dans les bras d’un iroquois, l’un de ces indiens féroces, bestiaux et cannibales, la plus barbare tribu du Nouveau Monde.
Nommé Maître des Requêtes, le Marquis d’Archambaud est en effet envoyé aux Amériques pour remettre de l’ordre dans l’intendance de la Nouvelle France. Sur le bateau donc, se trouvent le chevalier de Saint-Sauveur, Gonzague et Adario qui, fait croire le chevalier à Mademoiselle d’Archambaud, est un prince en exil. Une fois arrivé sur place, tout ce beau monde est accueilli en grande pompe, avec un bal donné en leur honneur au palais par Monsieur l’Intendant des pays de Canada et autres régions de France. Pour Saint-Sauveur, c’est l’occasion de montrer à la noblesse de Nouvelle-France ce que vaut celle de l’ancienne. Les jours allaient filer au gré des saisons et à la découverte du pays jusqu’à ce qu’Adario, de son véritable patronyme Mitewile’un, et Mademoiselle d’Archambaud ne se lient d’une amitié de celle qui permet de déplacer des montagnes.
Dentelles et wampums sont les deux fléaux de la balance de ce deuxième tome des correspondances épistolaires de Saint-Sauveur et de son entourage. Si les « dentelles » s’expliquent par elles-mêmes, le libertinage étant l’une des occupations et préoccupations favorites du Chevalier, les « wampums » demandent éclaircissement. On peut les appeler des « perles de démocratie ». Ce sont des objets fabriqués à partir de perles de coquillages marins, échangés pendant plus de deux siècles – du début du 17e au début du 19e siècle – lors de rencontres diplomatiques entre les nations présentes dans le nord-est de l’Amérique, y compris les nations européennes. Entre colons et locaux, il va effectivement falloir faire preuve de démocratie. On n’envahit pas un pays sans dialogue avec ceux qui y vivent, quand dialogue il peut y avoir.
Le parti pris narratif épistolaire donne au récit une dimension qui lui est propre et particulière. Il aurait été facile de tomber dans le piège du texte illustré. Si dans la première partie de l’album (et troisième de la série), les lettres peuvent parfois paraître comme un exercice de style que s’impose le scénariste, dans la suite, elles prennent une toute autre envergure. Alain Ayroles parvient à les justifier avec malice dans des moments et des lieux improbables. Quant au graphisme et aux couleurs de Richard Guérineau, il n’y a rien d’autre à dire que le travail est impeccable. Mention spéciale à la scène d’action finale lorsque le chevalier et ses camarades sont poursuivis dans la forêt par les indiens : la mise en scène, le découpage et les prises de vue (tiens, comme au cinéma !) sont magistraux. A la cour, sur les flots ou dans le Nouveau Monde, Guérineau signe l’un de ses meilleurs albums.
Laissons le mot de la fin à celui qui est cité en préambule de l’histoire, un certain Pierre Choderlos de Laclos qui, dans Les liaisons dangereuses en 1782, écrivait : » L’humanité n’est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l’honnête homme a ses faiblesses. Cette vérité me paraît d’autant plus nécessaire à croire, que c’est d’elle que dérive la nécessité de l’indulgence pour les méchants comme pour les bons, et qu’elle préserve ceux-ci de l’orgueil, et sauve les autres du découragement. »
Série : L’ombre des lumières
Tome : 2 – Dentelles et wampum
Genre : Histoire
Scénario : Alain Ayroles
Dessins & Couleurs : Richard Guérineau
Éditeur : Delcourt
ISBN : 9782413078555
Nombre de pages : 72
Prix : 22,95 €