Le vol du siècle… du 9ème Art !
« -… et la clef de ce tiroir, je la cache dans le vase qui se trouve sur ce meuble. Faites un effort pour vous en souvenir, ma fille !
-Oui, madame. »
La célèbre cantatrice Bianca Castafiore débarque pour quelques jours de villégiature au château de Moulinsart. La blonde ne vient pas seule. Elle est accompagnée d’Irma, sa dame de compagnie, d’Igor Wagner, son pianiste attitré, et d’un perroquet en guise de cadeau pour le Capitaine Haddock, enchanté, doux euphémisme, de voir la chanteuse s’imposer dans son havre de paix et de tranquillité. Des bohémiens ont établi leur campement à proximité. Une émeraude disparaît. Le mystère est lancé. Les coupables sont trouvés. Pas si simple.
Dès l’avant-propos, l’auteur pose les jalons de son essai. Le livre est composé de deux parties imbriquées : un cursus suivant la lecture chronologique des Bijoux de la Castafiore, et un excursus s’attachant à l’iconographie illustrant le propos. Il en faut de l’audace pour passer après Les bijoux ravis, analyse pointue de l’œuvre réalisée par Benoit Peeters en 1984, et surtout après Les bijoux distraits ou la cantatrice sauve, signé par le philosophe ami de Hergé Michel Serres. Pierre Fresnault-Deruelle apporte sa propre vision de l’affaire. L’histoire est-elle celle de la disparition de bijoux ? Evidemment. Mais cela n’est qu’un prétexte pour traiter de « la recherche de la viabilité d’un territoire entre les uns et les autres ». Cette quête du territoire tourne autour de cette fameuse marche cassée dans l’escalier. Mais qu’attend donc le marbrier Boullu pour venir la réparer ?
Avant que la diva ne paraisse, Tintin et Haddock semblaient vouloir jouir de quelques jours de repos après l’aventure tibétaine. Ce ne sont pas quelques bohémiens en bordure du parc qui allaient inquiéter leur quiétude. La bourrasque allait venir de Milan, avec notamment ce perroquet-cadeau, perroquet qui est à lui seul un running-gag dans l’œuvre d’Hergé, depuis le témoin de L’oreille cassée. Le capitaine Haddock va jusqu’à en cauchemarder, imaginant la chanteuse en volatile dans un théâtre bondé de perroquets, lui étant le seul humain de l’assistance, occasion pour Pierre Fresnault-Deruelle de s’attarder sur la caricature. L’auteur va ensuite disséquer tous les rebondissements et faux rebondissements de l’histoire, avec notamment l’arrivée de la police, en l’occurrence les Dupondt, lorsque le mystère aura une densité avérée. Ne nous attardons pas sur la fin de l’intrigue. Il y a peut-être ici des lecteurs-auditeurs qui ne l’ont pas lu (peu probable) ou qui en ont oublié le dénouement (plus plausible). Quant à la conclusion de l’essai de Pierre Fresnault-Deruelle, on peut en parler. L’auteur démontre à juste titre que l’album ne se suffit pas à une seule lecture. C’en est une seconde qui permet d’en dégager l’essence et le sens.
Une fois n’est pas coutume, l’ouvrage d’étude est richement illustré de cases ou d’extraits de cases signées Hergé. La société Tintin Imaginatio aurait-elle enfin décidé de lâcher du lest ? Même si on s’était habitués à en être privés, ça fait quand même plaisir de pouvoir en profiter. Ce qui est étrangement paradoxal, c’est que les illustrations les plus parlantes sont les autres, issues de tableaux de maîtres ou de gravures d’époque. Cette femme, « L’indiscrète », le doigt devant la bouche dans une toile du XVIIème siècle signée Nicolas Maes, ne rappelle-t-elle pas Tintin sur la couverture de l’album ?
A lire en parallèle à l’analyse Bianca Castafiore, celle qui rit de se voir si belle, signée Pierre Bénard parue chez 1000 sabords, cet anti-récit La Castafiore à Moulinsart apporte un éclairage pertinent sur l’antépénultième album d’Hergé paru de son vivant. Quand on a fini de lire Tintin, on peut recommencer à lire Tintin. On y trouvera toujours quelque chose de nouveau.
One shot : La Castafiore à Moulinsart, un anti-récit
Genre : Ouvrage d’étude
Auteur : Pierre Fresnault-Deruelle
Éditeur : Georg
ISBN : 9782825713471
Nombre de pages : 192
Prix : 20 €