La terre promise
« -La providence nous a confié une mission divine, Monsieur Charbonnier… Vous ne pouvez pas rester sourd au message de Dieu !
-Une mission qui implique de tuer des gens et de leur voler leur terre ? Drôle de message, révérend !
-Ne soyez pas obtus, mon vieux… Vous percevez un salaire pour conduire ces colons à travers le pays, non ? Alors que vous le vouliez ou non, vous faites partie de ce mouvement ! Vous en profitez !
-Monsieur Tyler a raison… C’est notre destinée de nous déployer sur cette terre pour la peupler et y développer nos institutions ! »
1843. Pierre Charpentier escorte un convoi de colons vers l’Ouest américain. Charpentier est un trappeur français. Son atout est d’avoir épousé Wakanda, une indienne. Cela risque de permettre d’éviter certains dangers. 640 âcres de terres sont offerts aux membres de l’expédition. Le problème est que cette terre est spoliée aux indiens. Si pour les colons, leur conquête est légitime, pour Pierre, elle trahit un traité signé avec les peaux-rouges. Mais qu’il le veuille ou non, il fait partie du mouvement et perçoit un salaire pour traverser le pays avec le groupe. Pour le révérend de l’expédition, c’est leur destinée de se déployer sur cette terre pour la peupler, y développer des institutions, apporter la civilisation et prêcher la parole du Seigneur. Pierre Charpentier craint que ce soient plutôt la violence, la maladie, la désolation et la mort qui risquent de gagner l’Ouest. Le voyage va être semé d’embûches. Lors d’une halte, Wakanda revient au campement avec un jeune africain qui avait tenté de voler son cheval. Elle a eu pitié de lui et l’a ramené. Ça ne va pas être du goût de tout le monde.
Cette piste s’éloigne des poncifs habituels du genre et de l’opposition cow-boys/indiens. C’est un road movie avec ses rebondissements, ses faux-semblants et ses surprises. Le couple Pierre/Wakanda fait l’originalité et la force de l’aventure. Corbeyran et Krings ont eu l’excellente idée de chapitrer l’histoire, lui donnant un côté feuilletonnant. Les plus anciens lecteurs auront une pensée émue pour un album mythique de la bande dessinée franco-belge : Go West, signé Derib et Greg. L’action se passait quelques années plus tard, en 1886, mais l’espoir d’une vie rêvée de l’autre côté de l’Amérique était le même. Il y avait aussi ce côté chapitrage puisque l’histoire avait été publiée en récits complets dans le journal Tintin.
Après la version luxe noir et blanc parue il y a près d’un an en auto-édition, Corbeyran et Krings voient enfin édité ce western tant attendu. Le graphisme semi-réaliste de Krings n’est pas non plus sans rappeler naturellement celui des débuts de Derib. Go West et La piste de l’Oregon étaient destinés à se faire écho. Les similitudes s’arrêtent là. Les directions prises par les deux récits sont vraiment indépendantes. Corbeyran et Krings ont écrit une aventure avec des thèmes de société dans l’air du temps, du féminisme à l’égalité des peuples, de la justice à l’écologie. Les pages de titres des chapitres permettent de bénéficier de belles et grandes illustrations, comme des couvertures intercalées. Les couleurs de Vera contribuent au voyage dans les plaines, avec en particulier des tons de fin de journée et des nuits éclairées à la flamme aux dégradés et aux éclairages parfaits.
Prenez la piste de l’Oregon. Elle vous mènera vers les grands espaces dans une aventure avec un grand A. Présenté comme un One shot, espérons que ce ne soit que la première étape d’une longue série de demain.
One shot : La piste de L’Oregon
Genre : Western
Scénario : Corbeyran
Dessins : Jean-Marc Krings
Couleurs : Vera
Éditeur : Kennes
Nombre de pages : 80
Prix : 14,95 €