L’aventure en tant que destin
« -Je suis le prince d’un modeste royaume, à l’Est loin d’ici. Nous sommes pauvres, et mon peuple souffre sans répit de la faim. A l’époque où j’étais aussi jeune que toi, j’ai rencontré un voyageur solitaire. Voici ce que ce voyageur m’a remis. Avec cette céréale, ton peuple pourra vivre en paix, sans jamais se soucier de la faim…
-Nos graines d’hiwabié sont petites et chétives, pouvez-vous nous donner les vôtres ? »
Nous sommes il y a fort fort longtemps, dans une ancienne vallée creusée par un glacier, au milieu d’un petit royaume oublié de tous. Dans la vie, certains naissent indigents et le restent jusqu’à la fin de leurs jours. D’autres voient le jour avec une cuillère d’argent dans la bouche et n’ont plus qu’à cueillir ce qui leur parvient tout cuit. Shuna aurait pu être de ceux-là car il est né Prince. Rien ne le destinait à accomplir quelconque exploit. Pourtant, face à la famine de son peuple n’arrivant plus à cultiver correctement sur une terre stérile, il va bien devoir prendre le taureau par les cornes, ou plutôt son fidèle Yakkuru par les bois. Quand un étranger mourant va lui parler de graines vivantes entourées d’une cosse blonde et brillante, le Prince héritier va décider de partir à leur recherche.
Shuna est un prince ordinaire. Mais investi du poids de sa fonction, il se sent obligé d’agir. Il ne part pas pour une aventure héroïque, il part pour une mission vitale. Il ne cherche pas à être plus fort que les autres, il cherche à subvenir aux besoins basiques des siens. Quand Shuna se bat, c’est pour éviter d’être enlevé par des goules mangeuses d’hommes. Quand il tue, c’est pour se nourrir. Quand, en ville, il rencontre Thea et sa petite sœur, esclaves enchaînées, Shuna manque de les échanger contre son vieux fusil. C’est Thea qui va se positionner en héroïne en l’empêchant de conclure ce marché qui le perdrait. Shuna n’a pas d’autre choix que de partir en les laissant à leur triste sort. Et il pleure. Dans son image, le héros ne pleure pas. Peut-être est-ce là un aveu de faiblesse ? Peut-être pas.
On va assister alors à une métamorphose. Shuna va se comporter en héros classique, lorsqu’il va délivrer les deux sœurs vendues à un marchand. Il va le rester lorsqu’il va abandonner sa monture aux deux filles puis retenir leurs poursuivants.
Quand l’aventure va prendre un tournant fantastique, il redevient héros ordinaire, si ordinaire, témoin du lecteur. Il observe une nature luxuriante, des animaux improbables, des géants verdâtres semant des graines dorées avec leur bouche. Certainement celles qu’il cherche. En quelques heures, des champs entiers avaient poussé. C’est en arrachant un épi qu’il va provoquer le chaos et transformer encore une fois son statut de héros, ou de non-héros. Car un héros, qu’aurait-il fait ? Il aurait illico récupéré tout ce dont il aurait besoin et serait rentré victorieux dans ses terres. Pour Shuna, ça ne va pas se passer aussi simplement.
Intelligemment, Hayao Miyazaki offre à son personnage un destin commun alors qu’il aurait été linéaire qu’il devienne un héros comme beaucoup d’autres, sans peur et sans reproche. Ce n’est pas ce qu’il recherche, ni ce que Shuna recherche. C’est cela qui fait la particularité de ce conte japonais. Les éditions Sarbacane réhabilitent enfin cette histoire de 1983, qui aurait fait un sublime long métrage anime.
One shot : Le voyage de Shuna
Genre : Shonen aventure
Scénario, Dessins & Couleurs : Hayao Miyazaki
Éditeur : Sarbacane
ISBN : 9791040804444
Nombre de pages : 160
Prix : 25 €