Les nouveaux misérables
« -Vous critiquez les équipements de l’atelier universel, maintenant ?
-Mais non… Je dis juste que…
-Vous vnez de perdre votre emploi, matricule 25431 !
-C’est injuste… J’ai rien fait de mal… Demandez aux autres !
-Les autres seront d’accord avec moi, sinon ils perdront également leur emploi ! Votre licenciement prend effet à l’instant ! Vous ne faites plus partie de l’usine… Veuillez quitter les lieux… L’enceinte de l’atelier universel est interdite à toute personne étrangère au service ! »
Après avoir appuyé sur le bouton d’arrêt d’urgence d’une chaîne de production suite à un problème technique, Arsène est viré manu militari. Sous les yeux ébahis de ses collègues, il récupère ses habits et quitte les lieux. Il traverse la ville grisâtre et retrouve sa sœur Annabelle dans leur appartement commun. Elle n’a pas encore 21 ans et ne peut pas encore travailler. Lui vivait pour et par l’atelier depuis des années. Il n’est plus rien du tout. Il n’a plus de statut social, plus de matricule, plus de nom. Il a été effacé du système. Il ne croit pas si bien dire. En sortant de la douche, il se rend compte que son corps lui-même s’efface. Il est devenu invisible. Quelques jours plus tard, Annabelle est surprise par un service de sécurité en train de voler un fruit sur un étalage. De l’autre côté de la caméra, Anatole, l’un des meilleurs employés de la compagnie de surveillance Les yeux doux, alerte les vigiles. Quelle belle journée ! Encore une fois, il est un travailleur modèle. Mais un élément va le perturber au plus haut point : il ne peut pas se sortir le visage de la voleuse de la tête.
Comment la vie peut-elle basculer en un instant ? C’est le leitmotiv de ce conte moderne. Celle d’Arsène va prendre un tournant : comment vivre invisible ? Celle d’Annabelle va vriller : de voleuse coupable, elle passe à un statut d’innocente inattendue. Anatole, en effet, a prétexté s’être trompé en l’accusant. Il parvient à la faire libérer. Mais c’est sa vie qui va ensuite changer lorsqu’il va être confondu, preuves à l’appui. Il a menti au sujet d’Annabelle. Il est licencié sur le champ. Il devient lui aussi un paria. Il va découvrir un univers parallèle dans lequel une société d’exclus s’est organisée. Anatole Souclavier et Annabelle et Arsène Serrejoint ont rejoint le clan des indigents. Subir ou agir ? Le peuple des bas-fonds semble avoir décidé.
Les yeux doux doit son titre aux images de Pin-up disséminées dans les rues de la ville et qui observent, scrutent et surveillent les habitants. Corbeyran écrit une nouvelle version des Misérables, un Notre-Dame-de-Paris 2.0, car, en effet, Les yeux doux est une histoire qui doit beaucoup à Victor Hugo. C’est une fresque romanesque avec ses héros, ses oppresseurs, ses parias. C’est une grande histoire d’amour comme on en fait peu. C’est aussi une dystopie politique anticapitaliste. Ça peut paraître étonnant mais le scénario ferait une formidable comédie musicale. Michel Colline a réalisé un travail incroyable. Déjà, avec Charbon, chez Paquet, il signait un diptyque formidable. Pour Les yeux doux, il a assoupli et dynamisé son trait. Pour couronner le tout, ajoutons une maquette d’album parfaite et ça fait des Yeux doux un livre immanquable.
On parle souvent d’Aire Libre chez Dupuis, de Grand Angle chez Bamboo ou de Signé au Lombard, labels de qualité irréprochable. 1000 feuilles s’ancre définitivement comme leur pendant chez Glénat… grâce à des albums comme Les yeux doux.
One shot : Les yeux doux
Genre : Aventure
Scénario : Corbeyran
Dessins : Michel Colline
Couleurs : Cyril Saint-Blancat
Éditeur : Glénat
Collection : 1000 feuilles
Nombre de pages : 184
Prix : 24 €
ISBN : 9782344056189