Les couloirs d’un hôpital psychiatrique
« -Ecoutez comme c’est beau. Calme, serein, ennuyant même parfois. Regardez comme c’est tranquille. On ne croirait jamais n’être qu’à quelques kilomètres du centre d’Angoulême. Quinze hectares de verdure dans lesquels sont plantés ces bâtiments. Des bâtiments chargés d’histoires. Les plus anciens datent quand même de 1865. C’est super vieux. Et pas un bruit ne s’échappe de derrière ces murs. Ces pierres blanches, c’est majestueux mais pas écrasant. Ici, c’est comme un refuge contre le monde extérieur… tellement inquiétant pour nous. Nous, que vous appelez un peu trop facilement les fous ! »
« L’hôpital psychiatrique a longtemps servi d’asile pour ceux que l’on ne veut pas voir dans la cité, pour ceux que la société trouve « anormaux », pour ceux qui l’inquiètent, la dérangent. » C’est ainsi que le définit l’infirmière qui nous fais visiter les lieux. Nous sommes au centre hospitalier Camille Claudel de La Couronne, en banlieue d’Angoulême. L’établissement accueille des schizophrènes, des bipolaires, des dépressifs, des patients souffrants de troubles envahissant de développement, et même des autistes, alors qu’ils ne devraient pas y être, mais il n’y a pas de structures pour les recevoir. La psychiatrie moderne date seulement du XIXème siècle. La majorité des patients est hospitalisée pour de courts séjours d’environ trois semaines. D’autres sont là depuis des années.
Tout au long de l’album, en accompagnant soignants et patients, on va vivre la vie en immersion dans l’hôpital psychiatrique, familièrement appelé HP. On va suivre les pas d’une élève infirmière qui apprend à faire une prise de sang tout autant qu’on va distribuer les traitements aux patients. On va recueillir le témoignage d’un schizophrène hypersensible qui essaye de trouver des astuces pour échapper à ses cauchemars. Un autre, schizophrène paranoïaque de 37 ans diagnostiqué à 25, raconte ses isolements, les injections et sa période de trois semaines de contention. Il a du mal à supporter les troubles des autres. Un médecin se plaint de la dégradation de ses conditions de travail et voit l’avenir de façon pessimiste. On assiste à une réunion de soignants-soignés. On découvre la fonction de pair-aidant, un ancien patient rétabli qui apporte une parole positive dans un groupe de discussion avec des malades.
Xavier Bétaucourt réalise une enquête journalistique qui éloigne des clichés qu’ont tous ceux qui n’ont jamais eu affaire, pour eux ou pour un proche, à un hôpital psychiatrique. On y découvre ce qu’il s’y passe, ce que ressentent ceux qui y sont admis, ce que vivent ceux qui y travaillent. Pour autant, la psychiatrie a encore un potentiel de développement certain. De nombreux hôpitaux ne sont encore que des « garderies », empêchant des patients de faire des bêtises sur eux-mêmes à l’extérieur, quand ils ne parviennent pas à s’échapper furtivement de la structure afin d’acheter des lames de rasoir ni vu ni connu pour se scarifier au nez et à la barbe des infirmiers.
Jean-Luc Loyer dessine les lieux et les malades avec respect. Les couleurs volontairement ternes de Thomas Lavaud ajoutent à l’angoisse et au mal-être, mettant les soignés facent à leurs troubles et les soignants face à leurs difficultés. Un cahier final résume l’histoire de la psychiatrie à travers celle du centre hospitalier Camille Claudel et revient sur l’approche de la schizophrénie.
Les âmes fendues est un album bouleversant. Par le factuel, les auteurs ont atteint leurs intentions : ne plus avoir peur des malades, les regarder comme des êtres humains, comme des gens d’une autre normalité, avec un petit truc pas pareil que les autres…
One shot : Les âmes fendues
Genre : Reportage
Scénario : Xavier Bétaucourt
Dessins : Jean-Luc Loyer
Couleurs : Thomas Lavaud
Éditeur : Steinkis
ISBN : 9782368466933
Nombre de pages : 128
Prix : 22 €