La guerre à bicyclette
« -Maurice ! Ne traîne plus ! Les allemands arrivent ! Tu dois aller loin le plus vite possible ! Vu ton âge, ils peuvent te réquisitionner… ou pire !…
-T’en fais pas m’man ! J’ai déjà traversé une bonne partie de la France à vélo. Et si je peux, j’embarquerai directement vers l’Espagne ou le Portugal.
-Ne perds pas l’adresse à Lisbonne que je t’ai donnée. Ta tante et son mari t’y attendent. Je leur ai écrit een janvier, craignant l’éclatement d’une vraie guerre !
-Ça ira, m’man… J’essayerai de te donner de mes nouvelles… »
New York 1972, au Congrès international de la BD, dessinateurs européens et américains se rencontrent autour d’un bon verre. L’un d’eux a des origines bretonnes. Plus exactement, le berceau de sa famille se trouve à Guéméné. Le nom de cette ville du Morbihan va raviver des souvenirs à Maurice Tillieux, le dessinateur de Gil Jourdan. Il y a passé plusieurs mois, en 1940. En Mai de cette année-là, à tout juste dix-neuf ans, il quittait Bruxelles et sa mère, sur son vélo, pour éviter de se faire réquisitionner par les allemands qui envahissent le pays. Direction la France, dans l’espoir d’embarquer vers l’Espagne ou le Portugal. Après la traversée du Braban Wallon, Tillieux franchit la frontière française. Il trouve refuge dans des fermes, évite les bombardiers allemands, ce que n’ont pas réussi à faire toutes les personnes qui ont emprunté les mêmes routes que lui. Pas toujours facile de se faire accepter par les français. Ayant capitulé, les belges sont considérés comme des traîtres. Le cycliste traverse la Loire sans trop de difficultés et se dirige vers La Rochelle. Arrivé sur place, c’est la désillusion. Les allemands mitraillent tout ce qui s’éloigne des côtes. Impossible de rejoindre la péninsule ibérique. Maurice n’a pas d’autre choix que de remonter vers la Bretagne.
Adorateur de l’œuvre du papa de Gil Jourdan, Bruno Bazile, déjà auteur de M’sieur Maurice et la Dauphine jaune consacré à son idole, est ici accompagné d’Etienne Borgers pour raconter l’escapade de Maurice Tillieux. En vingt-huit planches sublimes au lavis, on est embarqué dans une époque chargée d’Histoire sur laquelle se basera l’avenir d’un des plus grands auteurs de l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge. Il est temps que Maurice Tillieux soit enfin réhabilité. Au même titre que Jijé, il fait partie de ces auteurs pas forcément connus des profanes en BD. Il a pourtant autant d’importance qu’un Roba, qu’un Jacobs, qu’un Peyo. C’est l’occasion de saluer l’incroyable travail que font depuis des années les éditions de l’Elan pour sa bibliographie.
Ce Maurice Tillieux 1940 n’est pas qu’un récit de BD. C’est un bel album composé d’un riche dossier introductif dans lequel les auteurs Daniel Depessemier, Etienne Borgers et Gérard Guégan relatent l’escapade de Tillieux, le contexte historique, les lieux de l’action et la genèse de ce livre. Après l’histoire au lavis, une version noir et blanc montre un autre point de vue du trait émouvant de Bruno Bazile, avant de finir sur un carnet de croquis et d’essais.
Pas uniquement réservé aux tillieuphiles, cet album raconte par le prisme du destin d’un jeune homme un pan de l’histoire du monde qui aurait pu changer celle du Neuvième Art s’il ne s’était pas bien terminé. Inévitable. Attention, tirage limité.
One shot : Maurice Tillieux 1940
Genre : Biopic
Scénario : Etienne Borgers
Dessins & Lavis : Bruno Bazile
Dossier : Daniel Depessemier, Etienne Borgers & Gérard Guégan
Éditeur : Editions de l’Elan
ISBN : 9782931072066
Nombre de pages : 96
Prix : 39 €