Bon appétit, bien sûr !
« -Tu sais c’qu’on raconte sur c’te montagne, dans la région ?
-Ben non.
-Quand y a des nuages comme ça sur la dent du chat, c’est que les cuisiniers de l’enfer ont allumé leurs fourneaux… Même qu’des fois, on aperçoit des lueurs rouges briller dans la nuit, quand les diables font leur banquet infernal ! »
Dans une cité moyenâgeuse, un groupe d’orphelins tente de glaner ce qu’il trouve pour arriver à se sustenter. Pas facile d’arriver tous les jours à manger à sa faim. Quelques légumes oubliés feront une soupe qui permettra de se remplir un peu l’estomac. Mais d’autres qu’eux cherchent à se remplir la panse, et avec des enfants. Un croquemitaine ne cesse d’en capturer, pour les amener aux ogres. Le jour, ou plutôt la nuit, où les compagnons de Trois-fois-morte vont se faire attraper, la gamine va ameuter le quartier pour alerter la population. Le chevalier de Sainte-Ombre la fait grimper sur la croupe de son cheval au galop pour rattraper le ravisseur et ses otages pris dans le sac. Ils ne vont réussir qu’à sa faire attraper eux-aussi. Direction La cuisine des ogres, pour se faire croquer. Mais ça, c’est sans compter sur la détermination de Trois-fois-morte.
Comme son nom l’indique, déjà morte trois fois, que pourrait bien craindre notre orpheline ? Dès leur arrivée chez les ogres, ils sont vendus. Certains sont tout de suite mis au court-bouillon, d’autres sont engraissés quelques mois et les derniers sont destinés au hachoir, avec les quartiers d’aurochs marinés au vin de cassis. C’est justement le cas de notre héroïne qui va réussir à échapper au carnage. Va commencer alors pour elle une grande aventure dans les bas-fonds de l’antre des ogres. Entre fantômes, kraken et chèvres, Trois-fois-mortes va devoir user d’alliances, de stratégies et de négociations pour éviter à ses compagnons de devenir les ingrédients d’une recette gastronomique.
Fabien Vehlmann retrouve sa veine de conteur de Jolies ténèbres. Il se rapproche des poncifs originels chers à Charles Perrault et aux frères Grimm, qui sous-couvert d’histoires édulcorées au fil des réécritures et adaptations, traitaient de thèmes dramatiques aussi graves que l’abandon, l’inceste, la culpabilité ou l’emprise. La cuisine des ogres ne déroge pas à la règle. Le final hors du commun repousse les limites du concept en rebattant les cartes entre les personnages pour une éventuelle suite qui pourrait amener vers un nouveau point de vue.
Au dessin, Jean-Baptiste Andreae poursuit sa carrière sans faute. Il soigne chacun de ses albums, chacune de ses planches, chacune de ses cases avec un respect du lecteur qui fait de lui l’un des meilleurs dessinateurs de sa génération. Depuis Mangecoeur au début des années 90, il développe des univers fantastiques mêlant humains et animaux et créatures fantastiques, privilégiant toujours la qualité par rapport à la quantité. Ici, des scènes remarquables sur le lac montrent quelques cases exceptionnelles tant par leurs cadrages que par leurs exécutions, comme cette image en plongée où le kraken glisse sous l’embarcation des personnages, ou cette autre vue de côté sous l’eau lorsqu’un éléphant pousse la saucière sur laquelle a pris place Trois-fois-morte.
A mettre dans les mains de tous ceux qui aiment frissonner, La cuisine des ogres est l’un des événements tout autant scénaristique que graphique de l’année. Immanquable.
Série : La cuisine des ogres
Tome : Trois-fois-morte
Genre : Conte cruel
Scénario : Fabien Vehlmann
Dessins & Couleurs : Jean-Baptiste Andreae
Éditeur : Rue de Sèvres
ISBN : 9782810202683
Nombre de pages : 80
Prix : 20 €