Liberté, fraternité, fraternité
« -S… Sam ?!!
-Bula, mon pote ! Ça veut dire bonjour en fidjien !
-Mais… Mais qu’est-ce que tu fous là ?
-Je voulais te voir avant Biarritz !
-Merde, j’arrive pas à le croire !
-Direct les câlins ? T’as pas baisé depuis longtemps, toi ! Moi aussi j’suis content de te voir, petit frère. »
Vincent, la trentaine, a tout pour être heureux. Il s’apprête à acheter un appartement en plein Paris avec sa compagne. Il bosse dans une start-up dans la billetterie avec son beau-père qui est prêt à leur prêter de l’argent. Bref, l’avenir s’annonce radieux. Pourtant, l’homme est empreint de mélancolie. Il aurait préféré s’installer à Biarritz, où il a grandi avec son frère Samuel, parti aux îles Fidji. Vincent est nerveux, impulsif. Il va même passer une nuit en garde à vue après avoir balancé une bouteille sur une voiture de flics. Il est sous anti-dépresseur. Il a changé, mais sa chérie n’a pas l’intention de le laisser tomber. Ce ne sera pas réciproque, parce qu’au retour de Sam, il va tout plaquer pour faire avec lui un road trip jusqu’à Biarritz.
Si vous voulez lire une histoire qui ne ressemble en rien à tout ce que vous avez pu ingurgiter jusqu’à présent, cet album est fait pour vous. Fidji est avant tout une histoire de fraternité. Deux frères se retrouvent après un an de séparation où tous leurs codes ont été déstructurés. On ne peut pas dire que leur route sera semée d’embûches, puisque ce sont eux qui les mettront. Entre intrusion illicite, rapine de commerce et rencontres opportunes, Sam et Vincent vont se retrouver, se chercher,… Iront-ils jusqu’à se perdre ? Les auteurs, en tous cas, n’aident pas les lecteurs à s’y retrouver. Mais tout ça est parfaitement conscient.
Jean-Luc Cano prend le prétexte d’un road trip pour un récit d’introspection au plus profond des âmes tourmentées de deux frères. Le scénariste malin n’indique jamais au lecteur vers où l’intrigue va les mener. On s’attend à un récit psychologique. On attend la problématique. On cherche le thriller. Il ne vient vraiment jamais. A quoi bon les Fidji ? A quoi bon Biarritz ? Simplement parce que l’un est de l’autre côté de l’océan de l’autre ? Cano, lui, sait très bien ce qu’il fait. Bien futé celui qui le devinera avant la fin, poignante à arracher des larmes. C’est dans la dernière scène que le lecteur peut ajouter la pièce qui tient l’ensemble du récit et comprendre tout ce qu’il s’est passé jusque-là. Une mise en scène incroyable.
Bien loin des Nains des Guerres d’Arran, Pierre-Denis Goux s’empare de ces destins singuliers, cachant dans les regards les secrets, les angoisses, les joies et les doutes de la fratrie et des personnages qui gravitent autour, comme des dommages ou des sauvetages collatéraux. Le découpage, avec de nombreuses grandes cases, des planches muettes, donne un rythme singulier. L’album doit également beaucoup aux couleurs de Julia Pinchuk qui ouvre et clôt le récit avec un coucher de soleil qui en dit très long. Chaque scène est habillée d’un ton qui marque le moment. C’est dans les livres comme celui-ci que ceux qui douteraient encore peuvent s’assurer qu’une ou un coloriste est un auteur au même titre que les autres.
Fidji est de ces albums où l’on n’est plus tout à fait le même après les avoir lus. Il démontre que la fraternité est plus importante que toute liberté et toute égalité. Encore plus poignant qu’on ne s’attend pas du tout au final.
« Puisqu’on ne sera toujours
Que la moitié d’un tout
Puisqu’on ne sera jamais
Que la moitié de nous
Mon frère….
Bien sûr que rien ne pourra jamais nous l’enlever
Bien plus que tout ce que la vie peut nous accorder
L’amour sera toujours cette moitié de nous qui reste à faire
Mon frère … »
(extrait de la chanson Mon frère, dans Les 10 commandements)
One shot : Fidji
Genre : Emotion
Scénario : Jean-Luc Cano
Dessins : Pierre-Denis Goux
Couleurs : Julia Pinchuk
Éditeur : Delcourt
Collection : Mirages
ISBN : 9782413085409
Nombre de pages : 160
Prix : 22,95 €