Desperate Detectives
« -Police ! Bouge pas, petit merdeux !
-Hé, mec… C’est pas ma faute… Ils me…
-Ferme ta gueule. Qui a commencé, je m’en tape… Le problème, c’est toi.
-Héé ! »
Pelican Road, été 1984. Une rixe oppose trois jeunes gens. Karina reproche à Sid de l’avoir larguée. Tommy s’en mêle. Sid gifle Karina. Tommy s’interpose. Sid lui explose la face. « On se sent impuissant quand la violence se déchaîne. Sauvé par le gong. Palmer, le flic du coin, se pointe et met les choses en ordre en ordonnant à Sid de se casser sous peine de l’envoyer en taule pour trafic de crack ou de coke. Missis Wilson, la commère du quartier, a tout vu, tout comme Toni, la femme délaissée du Docteur Ted Melville, psychiatre de son état. Mais elle n’est pas si délaissée que ça parce qu’elle se réchauffe dans les bras de Palmer. Ajoutons à tout ce petit monde Lila Nguyen, une gamine déguisée en super-héroïne qui fourre son nez partout, Ranko, un vétéran sans abri, et Jack Foster, un détective privé qui pose des questions auxquelles tout le monde n’a pas forcément envie de répondre.
Changement d’ambiance avec Damn them all. Place au thriller ésotérique. Oncle Alfie est mort. Sa nièce Ellie Hawthorne est détective de l’occulte. Elle est aussi révérende et s’est chargée des obsèques de son tonton. Ne quittant jamais son marteau, elle croît à toutes les superstitions. La bande de mafieux de Frankie Wax tient les rênes de la ville. Mais quand les soixante-douze démons de l’Ars Goetia se déchaînent, il va bien falloir que quelqu’un se charge de les renvoyer dans leurs foyers. Ellie Hawthorne va tenter de remplir la mission, aidée, ou pas, par la bande de Frankie Wax afin de renvoyer les esprits de la dimension des mortels, avec au milieu de tout ça une inspectrice qui, comme le lecteur, essaye de comprendre ce qui se passe.
Les Desperate Housewives de Wisteria Lane n’ont rien à envier au microcosme de Pelican Road. Le scénariste Ed Brubaker offre un nouvel exercice de style incroyable. Commençons par le titre, énigmatique, « Là où gisait le corps ». On s’attend à un whodunit tout ce qu’il y a de plus classique. Et bien non. Le corps va mettre 102 pages à apparaître. Toute la première partie est comme un puzzle que l’on commence en assemblant tous les contours. Un plan des lieux est placé en introduction, ainsi que les portraits des neuf principaux protagonistes du récit. On se plaît à essayer de deviner lequel d’entre eux sera le fameux corps, à moins que ce ne soit quelqu’un d’autre qui n’y est pas représenté ? Les personnages s’adressent aux lecteurs comme si ces derniers les interrogeaient. Après avoir découvert le final, désarmant, dans la postface, Brubaker expose sa démarche scénaristique. Ce type est un génie. Au dessin et aux couleurs, le père et le fils Phillips imposent leur style. Si le graphisme est irréprochable, il reste classique mais est transcendé par une colorisation qui prend une importante part artistique à l’album, avec ses aplats et ses ombres qui déstructurent parfois les images.
Avec Damn them all, à la manière de Robert Kirkman, le scénariste Simon Spurrier profite du sujet pour dénoncer des problématiques sociétales, et en particulier une Amérique gangrénée par une violence inouïe et la consommation de drogues dont tout le monde est responsable mais dont les coupables ne sont pas forcément qui l’on croit. Spurrier insuffle un côté ésotérique majeur au récit, intercalant des extraits d’archives d’Alfred Hawthorne, immergeant dans la mythologie démoniaque. Les zombies de The walking dead laissent place aux démons de l’Ars Goetia. Charlie Adlard relève le défi en les animant avec autant de tension que les zombies. Ce qui est étonnant, c’est de voir ses dessins en couleurs. Il faut dire qu’elles sont quasiment nécessaires pour mettre en vie ces forces de l’au-delà. Avec des effets colorimétriques stroboscopiques, Sofie Dodgson les met littéralement en relief.
Charlie Adlard a redonné ses lettres de noblesses au Comics américain avec The Walking Dead. Il se remet en question et enfonce le clou, ou plutôt le marteau, avec Damn them all. Les auteurs de Reckless nous avaient déjà épatés avec Night Fever. Avec Là où gisait le corps, le trio Brubaker-Phillips-Phillips s’installe définitivement dans la liste des auteurs majeurs de la bande dessinée internationale. On pourrait inventer pour eux le premier grand prix d’Angoulême décerné à un groupe d’artistes indissociables.
One shot : Là où gisait le corps
Genre : Thriller / Polar
Scénario : Ed Brubaker
Dessins : Sean Phillips
Couleurs : Jacob Phillips
Éditeur : Delcourt
Collection : Comics
ISBN : 9782413083054
Nombre de pages : 144
Prix : 17,95 €
Série : Damn them all
Tome : 1
Genre : Thriller ésotérique
Scénario : Simon Spurrier
Dessins : Charlie Adlard
Couleurs : Sofie Dodgson
Éditeur : Delcourt
Collection : Comics
ISBN : 9782413082668
Nombre de pages : 188
Prix : 16,95 €